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l
Neurone
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Vol 18
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N°9
·
2013
Le cas de figure du jeune
enfant
Prenons la situation d'un enfant suivi par
son médecin. Celui-ci connaît les anté-
cédents personnels et familiaux et a éta-
bli une relation thérapeutique avec le
patient et les membres de son entourage,
principalement les parents. Il intervient
également au niveau de l'éventuelle fra-
trie. Le lien de confiance lui permet
d'appréhender la dynamique familiale et
la qualité des interactions. Le statut de
cette relation constitue indéniablement
un atout, lui permettant de percevoir
l'état général de l'enfant, son évolution,
ainsi que d'interpeller à bon escient les
parents. De sa position référentielle, le
pédiatre examine et entend en «connais-
sance de causes», sensible aux aléas de
la relation, aux accents dans les réac-
tions entre enfants et parents. Toutefois,
certains écueils existent; en effet, toute
implication avec intensité et durée dans
un lien, quel qu'il soit, se base sur l'inter-
subjectivité. On rencontre dès lors le
risque de perdre la faculté d'interroger,
de constater avec cette distance suffi-
sante et pourtant nécessaire de la fonc-
tion professionnelle. L'incrédulité, voire
l'aveuglement, menacent le clinicien qui
s'identifie à l'adulte, lui attribuant un
mouvement naturellement bienveillant
envers la jeune génération, qui plus est
lorsqu'il s'agit d'un bébé.
A ce propos, il y a lieu d'être attentif aux
manifestations cliniques lors de la
consultation. Certains indicateurs sont
flagrants et trahissent un état de souf-
france chez l'enfant, en lien avec une
probable maltraitance. Ce n'est pas tou-
jours le cas. Prenons un signe qui peut
paraître anodin. Dans la situation du très
jeune enfant, à côté des aspects psycho-
moteurs et des fonctions de holding,
handling et object-presenting dévelop-
pées par Winnicott, les capacités d'ac-
crochage par le regard et le corps nous
semblent intéressantes à considérer. Ain-
si, un bébé qui capte d'emblée le regard
du pédiatre et se lance dans ses bras sans
appréhension, sans réserve, émeut et
peut faussement rassurer le profession-
nel. Cet indice traduit éventuellement
une faille dans l'interaction entre le pa-
rent et l'enfant. Rappelons que le petit
d'homme, dans ses premières années
d'existence, fait normalement preuve de
retrait à l'égard de toute personne étran-
gère, se tournant préférablement vers
l'«adulte tutélaire», le parent par es-
sence, qui lui offre ses caractéristiques
corporelles et psychiques comme sup-
ports identificatoires et protecteurs. Le
«kit de survie psychique» du nourrisson
comprend la présence d'un adulte réfé-
rent, s'adressant à l'enfant par la voix, le
corps, les humeurs,... dont la capacité
de portage physique et psychique se ré-
pète quotidiennement. L'anamnèse com-
porte donc obligatoirement une investi-
gation sur la qualité de l'attachement
parent/enfant. Il s'agit d'écouter l'adulte
décrire les moments d'interaction, les
modes de réactions réciproques, les «re-
cettes» mises au point quand le bébé
pleure, refuse de manger,... Interroger le
quotidien de ces attitudes participant à
la consolidation de la parentalité permet
de découvrir des impasses relationnelles
ou des situations à risque.
Brève conclusion
Trois remarques s'imposent à nous. Tout
d'abord comme le soulignent Marchand
et al., le pédiatre a un triple rôle de dé-
tection, de diagnostic et de prévention
(7). Selon les contextes de la rencontre
pédiatrique, il sera plus ou moins aisé de
repérer les indicateurs de maltraitance.
Puis, au niveau de l'état d'esprit, il s'agit
d'oser retenir dans les hypothèses du
diagnostic différentiel l'éventualité d'une
inadéquation grave envers l'enfant. Enfin,
nous recommandons de ne pas hésiter à
faire appel aux structures spécialisées,
d'abord pour un avis quant au dia-
gnostic, ensuite pour envisager un relais
pour la suite de la prise en charge. Et là,
plus le médecin sera clair, reconnaissant
sa perplexité ou ses doutes, plus le «pas-
sage», même dans une ambiance de
crise, pourra s'effectuer. Soulignons que
certaines familles ne conçoivent pas la
perspective de l'aide et des soins à leur
égard et qu'alors, seule une interpella-
tion des autorités judiciaires autorise une
mesure de protection à l'égard de l'en-
fant en danger. A ce propos, la modifica-
tion récente de l'article 458bis du code
pénal redéfinit le cadre de cette possibi-
lité pour le professionnel quel qu'il soit.
In fine, se représenter un diagnostic de
maltraitance suscite un malaise général
chez tout clinicien. La menace d'occul-
ter cette éventualité est grande. Il est
clair qu'évoquer une possible mal-
traitance demande de prendre du temps
(en avons-nous encore?), de «se mouil-
ler», parfois en perdant le lien thérapeu-
tique mais en offrant à l'enfant une op-
portunité pour son évolution.
Références
1.
de Becker E. De l'utilité de poser un diagnostic dans les
situations de maltraitance. Acta Psychiatrica Belgica
(paraîtra en 2012).
2.
Weber. Dictionnaire de thérapeutique pédiatrique. 2°
edition de Boeck, Bruxelles, 2008.
3.
Flaherty EG, Sege RD, Griffith J, et al. From suspicion of
physical child abuse to reporting: primary care clinician
decision-making. Pediatrics 2008;122:611-9.
4.
Hayez J-Y, de Becker E. La parole de l'enfant en
souffrance: accueillir, évaluer, accompagner. Dunod,
France, 2010.
5.
Michiels M. Reconnaître les signes et les symptômes de
la maltraitance et de la négligence d'enfants. Percentile
2007;12(5):136-42.
6.
Finkelhor D, Jones L, Shattuck A. Update trends in child
maltreatment, available at: http//www.unh.edu/ccrc/pdf/
Updated_Trends_in_Child_Maltreatment_2009.pdf.
7.
Marchand J, Deneyer M, Vandenplas Y. Detection,
diagnosis, prevention of child abuse: the role of the
pediatrician. Eur J Pediatr Published on line: 23/11/2011.
Evoquer une possible maltraitance demande de prendre du
temps (en avons-nous encore?), de «se mouiller», parfois en
perdant le lien thérapeutique mais en offrant à l'enfant une
opportunité pour son évolution.