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l
Neurone
·
Vol 18
·
N°9
·
2013
Quand j'étais jeune assistant, voici plus
de 30 ans, on parlait déjà de complica-
tions plus ou moins précoces du traite-
ment par lévodopa. J'oublierai volontai-
rement les effets secondaires digestifs ou
cardiovasculaires précoces, largement
atténués par la prescription concomi-
tante d'un inhibiteur périphérique de la
dopa-décarboxylase. Ont été très tôt no-
tés une perte d'efficacité de la lévodopa
avant la prise suivante, voire même de
façon imprévisible, mais aussi l'appari-
tion de mouvements involontaires entra-
vant autant la mobilité du patient que les
signes parkinsoniens classiques. Ces
mouvements parasites ont été appelés
dyskinésies dopa-induites, soit de pic de
dose, souvent d'allure choréique ou
athétosique, soit biphasiques revêtant
plutôt un aspect brutal, ballique, prédo-
minant aux membres inférieurs et surve-
nant peu après la prise de la lévodopa ou
avant la prise suivante. Aussi, un excès
de lévodopa a été reconnu comme
source de troubles comportementaux et
d'hallucinations.
Ce sont d'abord les fluctuations motrices
qui ont attiré l'attention, car les plus vi-
sibles. Quel désarroi pour le patient et
son entourage, après une période de
bonheur de quelques années, de voir
réapparaître soit brutalement, soit insi-
dieusement, les stigmates de la maladie
ou des troubles moteurs jusque-là incon-
nus. Ce n'est que plus récemment qu'on
a pris conscience que ces fluctuations
motrices pouvaient s'accompagner de
symptômes non moteurs parfois aussi
invalidants: bouffées anxieuses ou affect
dépressif, douleurs diverses, variations
de la vigilance, de la concentration,
perte d'élan vital etc.
La théorie de neurotoxicité de
la lévodopa
Une théorie a alors vu le jour, selon la-
quelle ces effets secondaires étaient le
fruit d'une neurotoxicité de la lévodopa,
car on ne les retrouvait pas avec d'autres
médications antiparkinsoniennes. La lé-
vodopa est effectivement toxique à forte
concentration sur cultures de neurones
dopaminergiques in vitro, notamment
parce que le catabolisme de la dopa-
mine par la voie de la COMT (catéchol-
O-méthyltransférase) génère du per-
oxyde d'hydrogène et des radicaux
libres très neurotoxiques. Toutefois, la
plupart de ces tests ont été effectués sur
des cultures dépourvues d'astrocytes,
dont on sait qu'ils contiennent les en-
zymes glutathione peroxydase et cata-
lase neutralisant largement les pe-
roxydes. Ceci explique probablement
que dans les modèles animaux sains ou
rendus parkinsoniens, il n'a pas été pos-
sible de démontrer de façon reproduc-
tible un effet délétère structurel de la
lévodopa sur les voies nigrostriées.
Néanmoins, cette théorie de la neuro-
toxicité de la lévodopa a été longtemps
véhiculée, avec comme autre argument
que les parkinsoniens traités uniquement
par agonistes dopaminergiques ergotés
ou non ne développaient guère de fluc-
tuations motrices, même si les complica-
tions psychiatriques étaient fort proches
de celles de la lévodopa. Plusieurs larges
études ont été conduites avec divers ago-
nistes (ropinirole, pergolide, prami-
pexole) montrant que tant qu'ils étaient
administrés seuls, les patients ne déve-
loppaient quasi pas de dyskinésies et
peu de fluctuations d'efficacité. C'était
cependant toujours au prix d'un moindre
effet sur la mobilité générale que chez
les patients recevant la lévodopa à dose
équivalente ou en supplément.
Je pense que c'est Yves Agid (2) qui a
définitivement clos le débat de la neuro-
toxicité de la lévodopa dans la maladie
de Parkinson, sur base des arguments
suivants:
1. l'administration de lévodopa aug-
mente de façon significative la sur-
vie des parkinsoniens (3);
2. aucune différence anatomopatho-
logique n'a été montrée dans les
voies nigrostriées de parkinsoniens
exposés on non à la lévodopa (4),
ou chez des sujets normaux ayant
reçu la lévodopa sur diagnostic
erroné (5);
3. les dyskinésies n'apparaissent ja-
mais chez des patients exposés à la
lévodopa pour d'autres affections
que la maladie de Parkinson idio-
pathique.
Il n'empêche, nous savons tous que les
patients exposés à la lévodopa suffi-
samment longtemps développent quasi
tous des fluctuations d'efficacité et que
les dyskinésies sont plus marquées
lorsque des doses importantes sont
prescrites. L'intensité et la fréquence
des variations s'accroissent aussi au fil
du temps. Ce sont les raisons pour les-
quelles il est fréquemment recomman-
dé d'adopter une «stratégie d'épargne»
de la lévodopa. Mais est-ce la lévodo-
pa, la durée d'exposition et la quantité
administrée qui sont à mettre en cause
ou plutôt l'évolution du processus dé-
génératif? Pour moi, c'est clairement
cette dernière qui joue.
L'administration de lévodopa
augmente de façon
significative la survie des
parkinsoniens.
Au début, la capacité
de stockage présynaptique
de dopamine reste suffisante
pour réguler une
administration trop
importante ou trop faible
en lévodopa.