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l
Neurone
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Vol 18
·
N°9
·
2013
les mensonges, la manipulation, les ex-
plosions de colère et de chagrin ou une
menace de rompre le dialogue, demande
une interprétation qui contribue à don-
ner forme au diagnostic. Et ici, nous
n'évoquons pas encore l'importance sé-
miologique de ce qui est dit... Cela sup-
pose une oreille entraînée, comme un
stéthoscope de l'âme. Les leçons qui
découlent de cette analyse sont peut-être
ici les plus précieuses: prendre l'homme
au sérieux, comme un être narratif...
Dans l'anthropopsychiatrie, la vie quoti-
dienne retrouve son importance cruciale
en tant qu'élément qui incarne la dimen-
sion temporelle chez le patient. Ce
temps est nécessaire à l'évolution, au
traitement, au changement, mais aussi à
la première rencontre, à l'observation,
au diagnostic... Cette notion dérive éga-
lement de la psychanalyse et est en
contradiction flagrante avec l'urgence
des diagnostics techniques, les traite-
ments superficiels rapides, etc. La vie
quotidienne est une tâche existentielle,
dans laquelle tous les existentiels et fac-
teurs pulsionnels sont impliqués. Sa di-
mension politique et sociale est claire et
elle permet également d'introduire le
concept de sens dans le champ de la
psychiatrie. L'accompagnement du sujet
occupe ici une place centrale; un sujet
qui s'exprime doit être respecté au lieu
d'être maîtrisé.
En ce qui concerne le traitement psychia-
trique, l'anthropopsychiatrie plaide tota-
lement en faveur d'une autoformalisation
de l'homme, qui ne peut donc par défini-
tion être conçue de l'extérieur. Chacun
reste «en charge» de sa propre responsa-
bilité, de sa vie. C'est la raison pour la
quelle, à l'instar d'Isabelle Stengers (2) et
de nombreux philosophes moraux, elle
rejette la thérapie comportementale. Un
patient se traite en premier lieu lui-même,
mais à l'aide d'un autre. A cet effet, le trai-
tement doit être long, sérieux et intensif,
sans schémas préconçus.
Il en va de même des traitements rési-
dentiels, qui prennent bien évidemment
beaucoup de temps, du moins si on veut
modifier quelque peu les schémas enra-
cinés. Il est donc nécessaire de faire
preuve de résistance vis-à-vis de la vo-
lonté incessante de raccourcir le traite-
ment des patients, parallèlement à la
énième mesure d'économie émanant du
monde politique. Les études qui vou-
draient évaluer ceci doivent également
changer de paradigme.
La Flandre compte plusieurs institutions
qui fonctionnent selon les principes de
la psychothérapie institutionnelle: je
pense à l'ALBE et au centre psychosocial
Mechelsestraat. Selon ces principes,
l'institution doit également être soignée,
si elle veut traiter correctement les per-
sonnes qui y fonctionnent ­ tant les pa-
tients que le personnel. Ceci est on ne
peut plus logique: nous sommes faits de
la même argile que nos patients, Lacan
l'avait déjà dit... Le soignant-soigné est
aussi bien soigné par le soigné-soignant
qu'inversement.
L'hétérogénéité au sein de la population
de patients est nécessaire pour pouvoir
se détacher de la pathologie pure.
Il est obsolète d'isoler des patients ayant
un diagnostic semblable, ne fût-ce qu'à
cause des nombreuses exclusions qui en
résultent. Si un patient n'entre pas dans
le «moule» d'un service, il reste sur le
carreau. Il devient parfois impossible de
référer un patient, certains d'entre eux
n'entrant dans aucun cadre...
Le financement par diagnostic, pour
lequel le gouvernement manifeste un
brusque intérêt, est tout aussi absurde.
Comme si un diagnostic était pire qu'un
autre, et pouvait être monnayé... L'an-
thropopsychiatrie entretient un rapport
plutôt critique avec l'autorité, et a peu
de considération pour les directions
hydrocéphales: le directeur général, le
sous-directeur, la direction du nursing, la
direction du personnel, et ainsi de suite
­ une vaine énumération de fonctions,
toutes absentes du processus thérapeu-
tique. Les structures autoritaires peuvent
être très aliénantes, en plus d'être ­ sur-
tout ­ antithérapeutiques.
Le centre névralgique de la PI est le Club
Thérapeutique
, dans lequel siègent des
représentants des groupes d'intérêts indi-
viduels, et où on prend des décisions
démocratiques organisationnelles, p.ex.
l'achat d'un âne.
La vigilance est également de mise sur le
plan politique. En raison de ses cadres
de pensée analytiques, l'anthropopsy-
chiatrie est également armée pour l'ex-
pliquer. L'Etat a tendance à se mêler de
tout, y compris de la vie privée. Il s'oc-
cupe de plus en plus de biopolitique,
comme en témoigne le débat sur l'eutha-
nasie, mais aussi récemment la régle-
mentation de la psychothérapie. Lors du
congrès de l'IAEP (Inter-associatif euro-
péen de Psychanalyse
), fin mai 2013 à
Ravenne, où nous nous sommes rendus
suite au cri de détresse d'un collègue ita-
lien ­ la psychanalyse y est également
menacée ­, j'ai appris comment, dans
une petite ville du sud, non loin de Ta-
rente, un groupe de philosophes a ouvert
un bureau. La population locale pouvait
faire appel à eux en cas de questions
existentielles, de petits et gros pro-
blèmes. D'emblée, l'Ordre des psycho-
logues a déposé plainte, argumentant
Sur le plan du diagnostic,
l'anthropo-psychiatrie ­
contrairement à la
psychanalyse ­ ne souhaite
pas dé-diagnostiquer. Les
diagnostics sont précaires et
évolutifs, et ne sont jamais
que des hypothèses de
travail, pas «des inscriptions
sur des tombes».