background image
72
l
Neurone
·
Vol 18
·
N°9
·
2013
Les banques sont sauvées, tout va bien.
La cupidité et l'autodétermination
constituent les veaux d'or de notre
temps, mais qui ose encore s'interroger
sur la signification précise de l'expres-
sion: suivre la masse?
Une société en mutation implique des
possibilités pathologiques spécifiques, et
cette pathoplastie constitue également
un thème de l'anthropopsychiatrie. Heu-
reusement, ce sujet est de plus en plus
souvent traité de manière prégnante par
les psychanalystes. Sur ce plan, l'ou-
vrage de Paul Verhaeghe, «Identiteit»,
mérite d'être lu: il établit des liens entre
la société, l'homme et la psychopatholo-
gie. Cependant, bon nombre de psy-
chiatres sont aux abonnés absents (1).
Au niveau de son volet sociothérapeu-
tique, l'anthropopsychiatrie respecte les
principes de la «Psychothérapie Institu-
tionnelle
», développés par François Tos-
quelles et Jean Oury qui, à près de 90
ans, dirige toujours sa clinique à La-
borde.
Une solution à une série
d'impasses que rencontre la
psychiatrie actuelle
Il n'a pas été difficile de trouver une série
d'arguments qui démontrent que l'an-
thropopsychiatrie est non seulement en
non-contradiction avec les données les
plus récentes, issues des différents do-
maines de la psychiatrie, mais qu'elle
permet par ailleurs d'inspirer ses
pensées.
Avant tout, le schéma anthropologique,
avec ses quatre grands axes, cerne clai-
rement les limites de la psychiatrie.
Qu'est-ce qui relève effectivement ­ ou
non ­ de la psychiatrie? Ces limites
semblent inexistantes dans le DSM, où
on remarque une extension inflatoire du
pathologique aux dépens du «normal»,
de sorte que tout pourra bientôt être «pa-
thologisé», à la grande joie de l'industrie
pharmaceutique... Ceci est également
une des raisons pour lesquelles l'influent
National Institute of Mental Health amé-
ricain a décidé, voici quelques mois (DS
6 mai 2013), de ne plus utiliser le DSM
comme base des études scientifiques.
Leur argumentation me semble totale-
ment erronée, car une fois de plus biolo-
gique, mais elle a au moins le mérite de
pointer le danger de cette entreprise qui
devient progressivement délirante dans
sa manie de tout classifier. Ceci n'a plus
rien à voir avec la science. Jadis, la Bri-
tish Society of Psychologists
a également
pris ses distances vis-à-vis du DSM et ce
n'est pas tout, car une mégapétition
contre le DSM circule également en ce
moment parmi les professionnels de la
santé mentale.
Néanmoins, cette pathologisation du
normal est un corollaire inévitable de
la pertinence de l'axiome psychanaly-
tique selon lequel il n'y a qu'une tran-
sition quantitative ­ et non qualitative
­ entre le normal et le pathologique,
ou, en d'autres termes, selon lequel, en
dernière analyse, le normal n'existe
pas. Contrairement à «Big Pharma»,
seule l'anthropopsychiatrie reste vigi-
lante vis-à-vis d'une médicalisation à
outrance des problématiques psy-
chiques.
L'anthropopsychiatrie offre à la psychia-
trie un système cohérent et logique, qui
peut également servir de cadre de pen-
sée ouvert, dans lequel les définitions ne
sont jamais arrêtées et fixées. En ce sens,
elle se distingue du délire scientifique
qui veut tout définir, qui veut avoir le
dernier mot en toutes choses.
L'anthropopsychiatrie offre à la psychia-
trie un système cohérent et logique, qui
peut également servir de cadre de pen-
sée ouvert, dans lequel les définitions ne
sont jamais arrêtées et fixées. En ce sens,
elle se distingue du délire scientifique
qui veut tout définir, qui veut avoir le
dernier mot en toutes choses. A l'instar
du trouble psychique, toujours en mou-
vement, elle n'est envisageable que via
le mouvement de la pensée, sans que ce
mouvement ne s'arrête ou ne se fige
dans une définition, ce qui est par
exemple possible en mathématiques. Il
est tout bonnement impossible d'appré-
hender, en une définition, ce qu'est un
être humain, homme ou femme, ce
qu'est le désir ou «le» trouble mental. Si
on s'arrête sur une définition (diagnostic,
théorie...), on cesse de penser. La pen-
sée dépasse toujours la définition... Une
meilleure formation philosophique des
médecins pourrait dès lors également
tempérer des erreurs de pensée mani-
festes dans le DSM et des prises de posi-
tion de spécialistes bornés en pratique
quotidienne.
Sur le plan du diagnostic, l'anthropo-
psychiatrie ­ contrairement à la psychana-
lyse ­, ne souhaite pas dé-diagnostiquer.
Les diagnostics sont précaires et évolu-
tifs, et ne sont jamais que des hypothèses
de travail, pas «des inscriptions sur des
tombes
» (sic).
Dans la sémiotique ou la sémiologie
psychiatrique, l'oreille exercée retrouve
toute son importance. La détection de
signes de maladies, y compris dans le
non-verbal, par exemple via les silences,
Néanmoins, cette
pathologisation du normal est
un corollaire inévitable de la
pertinence de l'axiome
psychanalytique selon lequel
il n'y a qu'une transition
quantitative ­ et non
qualitative ­ entre le normal
et le pathologique, ou, en
d'autres termes, selon lequel,
en dernière analyse, le
normal n'existe pas.