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l
Neurone
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Vol 18
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N°9
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2013
mens mettent en évidence des lésions
banales, parfois mal protocolées et utili-
sées à l'excès par certains patients ou
experts à l'appui de leur thèse sur les
dommages consécutifs à un trauma-
tisme. Les pathologies de la moelle épi-
nière sont illustratives en raison d'un
manque de résolution ou de précision
des techniques d'imagerie ou de neuro-
physiologie: l'examen neurologique at-
tentif et détaillé concernant surtout les
voies longues reste donc incontournable.
Les dysfonctionnements de
l'hémisphère droit
En effet, c'est surtout à cause de dysfonc-
tionnements émanant de l'hémisphère
droit que neurologie et troubles psy-
chiques sont intriqués, car cet hémis-
phère contrôle la capacité essentielle de
reconnaissance de la réalité, pouvant
altérer ainsi l'identité (6). C'est Freud qui
inventa le mot agnosie pour certains dé-
sordres de la reconnaissance et de la
perception, ouvrant la voie à la neuro-
psychologie, finalement créée par le
Russe A.R. Luria durant la seconde
Guerre Mondiale. Les difficultés dia-
gnostiques sont dues entre autres à l'im-
possibilité pour le patient de reconnaître
ses propres problèmes, surtout dans cer-
tains syndromes de l'hémisphère droit
(anosognosie). Ces divers syndromes
peuvent résulter de détériorations autant
que d'excès fonctionnels, mais il y a tou-
jours une réaction de l'individu pour es-
sayer de restaurer, compenser et préser-
ver son identité, ce qui rend chaque cas
unique, nécessitant du praticien une
finesse d'analyse pour un diagnostic
correct et précis (6).
Pour une collaboration étroite
entre neurologie et psychiatrie
Les thèses réductionnistes, dont l'aspect
exagérément optimiste est dû à l'éclosion
il y a environ 30 ans de la neurobiologie
et de la biologie psychiatrique, ne se sont
pas, jusqu'à présent, confirmées dans la
pratique psychiatrique. Les leaders de la
psychiatrie biologique expriment actuel-
lement, dans les plus grandes revues
américaines, des doutes quant à leurs
contributions à la clinique psychiatrique
(7). Dès lors, plutôt qu'opposer neurolo-
gie et psychiatrie dans un débat douteux,
il paraît clair que ces deux disciplines
gagnent à collaborer et sont plus «com-
plices» et connexes que certains le pensent
aujourd'hui. De plus, un rapprochement
de ces deux disciplines paraît inévitable
au vu des progrès des connaissances
grâce aux nouvelles techniques d'investi-
gation en imagerie ou en biologie molé-
culaire, particulièrement via la génétique
et surtout l'épigénétique, qui s'appliquent
maintenant dans les deux disciplines (8).
Il est donc indispensable de pouvoir gar-
der tant que possible et surtout pour des
cas difficiles, entre autres en expertise,
une approche globale neuro et psychia-
trique par un même praticien ou évalua-
teur (expert). Ceci rentre d'ailleurs dans
l'évolution actuelle de la prise en charge
médicale globale et pluridisciplinaire, en
faisant l'économie d'une double consul-
tation chez un neurologue puis un psy-
chiatre, encore assortie de la nécessité
d'une synthèse. Vouloir supprimer totale-
ment une vue neuropsychiatrique semble
donc bien une erreur, pour aborder cer-
tains patients du moins: au contraire, il
faudrait stimuler une formation commune
au moins partielle pour les neurologues et
les psychiatres, afin de pouvoir assurer
des diagnostics corrects et des soins glo-
baux chez les patients qui le nécessitent.
C'est le défi des Neurosciences qui se
veulent modernes, économiques et effi-
caces!
Pour conclure
Je reprends quasi in extenso quelques
phrases de Boris Cyrulnik ­ neuropsy-
chiatre français né à Bordeaux en 1937
­ émanant d'un de ses nombreux livres
(9), où il évoque les premières années de
ses activités professionnelles:
«A cette époque les neurologues mépri-
saient les psychiatres, qui proposaient
des psychothérapies à des patients souf-
frant de tumeurs cérébrales. Et les psy-
chiatres s'indignaient quand ils consta-
taient qu'on pouvait soulager en
quelques entretiens des personnes dont
le cerveau avait été fouillé par des ma-
chines pas toujours merveilleuses. Cha-
cun boitait de son pied, voilà tout, et
s'appuyait sur une jambe hypertrophiée,
ignorant l'autre qui s'atrophiait. «Si vous
croyez que je marche droit, c'est parce
que je boite des deux pieds!.» Cet aveu
intrigua le professeur Mutter de Mar-
seille, qui fut fort intéressé car il n'avait
jamais vu quelqu'un boiter des deux
pieds! Il se demanda si cette démarche
étrange ne pourrait pas, à l'occasion,
produire quelque nouvelle idée et m'in-
vita à travailler avec lui.»
Références
1.
Damasio A. L'erreur de Descartes. Eds Odile Jacob,
Paris, 1997.
2.
Changeux JP. L'Homme Neuronal. Eds Fayard, Paris,
1983.
3.
Yudofsky SC, Hales, EH. Neuropsychiatry and the Future
of Psychiatry and Neurology. American Journal of
Psychiatry 2002;159(8):1261­4.
4.
Martin JB. The integration of neurology, psychiatry, and
neuroscience in the 21st century. American Journal of
Psychiatry 2002;159(5):695­704.
5.
Berger JR. Neurologists: the last bedside physician-
scientists. JAMA Neurol 2013;70(8):955-7.
6.
Sacks O. L'homme qui prenait sa femme pour un
chapeau. Eds du Seuil, Paris, 1988.
7.
Gonon F. La psychiatrie biologique, une bulle
spéculative? www.inb.ubordeaux2.fr/siteneuro2/pages/
archiindex/GononF/PsychiBiol2012.php
8.
Schwab M, Kaschka WP, Spina E. Pharmacogenomics in
Psychiatry. Advances in Biological Psychiatry vol. 25.
Eds Karger, Bâle (Suisse), 2010.
9.
Cyrulnik B. De chair et d'âme. Eds Odile Jacob, Paris,
2008.
Les leaders de la psychiatrie biologique expriment actuellement,
dans les plus grandes revues américaines, des doutes quant à
leurs contributions à la clinique psychiatrique.