![]() et le patient commence à raconter un épisode de sa jeunesse avec des détails très riches. L'épisode raconté est le plus souvent banal, mais toujours empreint d'une émotion heureuse: c'est la rémi- niscence. La récupération des souvenirs dure assez longtemps, de 10 à 20 mi- nutes, avec un bonheur évident de se retrouver et de pouvoir communiquer. Dans bon nombre de cas, le sujet va en- core plus loin: il décrit avec stupéfaction et émerveillement la façon dont il revit ses souvenirs. C'est alors une véritable reviviscence. Si des airs bien choisis se succèdent, ils vont alors réveiller d'autres souvenirs et permettre la continuation d'un dialogue heureux, sans fatigue et toujours accompagné de joie. les jours, compte tenu de l'amnésie anté- rograde. Cependant, dans cette étude, la fréquence des séances atteignait au maximum 2 par semaine. Dans la quasi- totalité des cas, le sujet Alzheimer recon- naît le praticien, mais ne se souvient pas des séances précédentes. Il reconnaît l'interrogateur avec un sentiment très fort de familiarité. Il garde ensuite une im- pression très agréable, même s'il ne se souvient plus de ce qu'il a fait. Enfin, la répétition des séances entraîne un enri- chissement des souvenirs, une améliora- tion du dialogue et, surtout, une restruc- turation identitaire qui reste à évaluer. nos observations. C'est une émotion in- tense qui s'accompagne d'une sensation d'étonnement, d'imprévu, de dévoile- ment. Elle se distingue du bonheur, émo- tion douce, continue, apaisante. L'appa- rition de la joie, dans nos observations, précède les autres éléments, et en parti- culier le souvenir. Ce n'est donc pas la qualité musicale de l'air entendu, ni la qualité du souvenir, d'autant plus que banalité. L'explication proposée à ce sentiment de joie serait liée au seul fait de la reconnaissance. On peut approcher d'une interprétation de cette joie en tenant compte des deux faits suivants: il existe deux sortes de souvenirs: le souvenir factuel (on peut décrire tous les faits qui le composent) et le souvenir virtuel (on en sent toute sa puissance mais sans en avoir les images ni les mots; c'est la pensée sans langage, le concept sans mot) (2, 3); et trois niveaux de récupération du souvenir: le niveau 1 est le souvenir immédiat («je sais»); le niveau 2 correspond au souve- nir différé («je sais que je sais») que l'on pourrait qualifier de virtuel car inexpri- mable à ce moment; enfin, le niveau 3 réfère au souvenir perdu («l'oubli de l'oubli») ou encore «vide mental». passage d'un niveau 3 à un niveau 2 de récupération du souvenir. Le souvenir n'est pas encore là, mais le souvenir du souvenir vient de naître. On vient de renouer avec nous-même, avec notre continuité. mélancolie, qui serait provoqué par le réveil de souvenirs appartenant à un temps qui n'est plus et qui ne sera jamais plus? Cette crainte est justifiée et doit toujours inciter à la prudence. Dans cette expérience de «mnémothérapie», cela ne s'est jamais produit. La mémoire involontaire est un mécanisme qui per- bliés de faire irruption dans toute leur pureté, c'est-à-dire sans effet comparatif puisqu'ils sont vécus au présent. Mais certains patients vont parfois marquer des pauses dans ce processus de mé- moire involontaire: c'est ce que l'on ap- pelle le «temps du charme rompu». Il s'agit alors d'un moment indiscutable de nostalgie. Mais, pour que la nostalgie se transforme en tristesse, mélancolie ou déprime, il faudrait qu'il fasse une com- paraison entre ce qu'il était et ce qu'il est devenu. Le patient, ici, ne possède pas les deux termes de la comparaison. C'est un bonheur protégé. moire antérograde chez la personne Alzheimer, on pouvait craindre que la musique soit un mauvais indice: en effet, pour reconnaître un thème musical, il faut être capable d'associer une dizaine de notes successives et de reconnaître les modalités de répétition pour juger d'un rythme. Si cette association s'était avérée impossible, ce projet aurait été en échec. Dans cette expérience, cette mé- moire musicale est pratiquement tou- jours conservée, au moins pour les phrases essentielles de la mélodie (re- frain). Dans notre expérience, les patients, et ceci quel que soit le stade de la maladie, ne nous semblaient pas encore justifier le terme de démence, ni sur le plan éty- mologique, ni sur le plan sociétal. Le terme de démence implique stricto sen- su la perte de son esprit (dé-mens) et, pour les non médecins, un véritable état de folie. Ce terme risque d'entraîner la panique du patient et l'angoisse de la famille, associées à un certain renonce- ment. Or l'intelligence du raisonnement, les mécanismes de la pensée, l'affectivi- té, la propension au bonheur et les diffé- rents talents artistiques ou autres qui ca- ractérisent un individu restent présents (on peut penser au peintre américain William Utermohlen ou à l'actrice fran- |