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l
Neurone
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Vol 18
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N°8
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2013
ses étudiants... Son cours n'était plus
qu'une décoction du DSM. Sa réponse
fut vague et hésitante...
Les modes sont toujours très attrayantes:
«faire comme les autres» apporte sécurité
et reconnaissance. En outre, les sanctions
financières, voire l'exclusion acadé-
mique, jouent un rôle. La psychiatrie en
tant que «discipline académique would-
be
» est talonnée par les disciplines orga-
niques et elle oublie son individualité
stricte par rapport à ces disciplines. Le
problème est que, de cette manière, on
trahit la réalité de l'âme (autre vide).
L'anthropopsychiatrie veut rendre à
l'homme ­ en tant que sujet ­ sa position
centrale, ce par quoi on considère
l'homme sous tous ses aspects, le corps
jouant bien évidemment un rôle majeur.
Il va de soi que l'aspect biologique
conserve toute son importance, mais il
est perçu comme une condition néces-
saire, mais insuffisante, pour com-
prendre l'homme. Cette psychiatrie vise
un recentrage, une défocalisation. Elle
veut appréhender l'homme comme une
espèce, qui se distingue profondément
de toutes les autres espèces (par le lan-
gage, la culture, la conceptualisation et
l'élaboration de projets, la spiritualité),
et donc ­ par égard pour la différence
anthropologique ­ le prendre comme
sujet-objet d'étude. Cela signifie qu'une
approche purement objective est anti-
scientifique, étant donné que l'homme ne
peut jamais être réduit à l'état d'objet, et
qu'il ne peut être considéré ­ ni étudié
­ comme tel. A l'opposé, le sujet de l'in-
vestigateur constitue en toute logique un
biais qu'on ne peut exclure (ici, il ne
s'agit pas d'un vide, mais d'un excès!).
Outre une biologisation excessive, la
psychiatrie actuelle se nourrit de l'obses-
sion de la classification. Le DSM-IV (3)
paralyse toute pensée authentique au
sujet de la psychiatrie et son successeur
ne laisse présager absolument aucune
amélioration. Les deux premières édi-
tions allaient encore dans la bonne di-
rection, mais dès la troisième version, les
psychiatres ont commencé à nager dans
le flou total, plus précisément à cause
d'un manque de théorie et d'empirisme,
de prises de position normatives, de pen-
sées de consensus antiscientifiques, de
la pression de groupes sociaux et enfin
de toutes sortes de favoritisme à l'égard
de l'industrie pharmaceutique. Le task
force
(groupe de travail), un terme issu
de l'armée, en dit long: initialement, il
était constitué de 100% d'académiciens
américains, personne n'étant issu du
domaine clinique.
La pensée matérialiste-économique et le
courant néolibéral sous-jacent au départ
duquel le groupe de travail opère ne sont
jamais explicités. Un élément très fâ-
cheux, et également implicitement poli-
tique, est que la notion de «trop» ou de
«trop peu», qui revient un nombre incal-
culable de fois dans les définitions symp-
tomatiques du DSM, est totalement déter-
minée par des normes sociales, mais
aussi que cette notion n'est nulle part ap-
préhendée de manière autocritique. Au
contraire, le DSM se prétend athéorique.
Classiquement, les adeptes de la psy-
chiatrie actuelle soutiennent qu'ils
prêtent attention à tous ces domaines,
mais ils affirment que l'étude du cerveau
(«nous sommes notre cerveau») (4) leur
permettra automatiquement de com-
prendre tous les autres aspects.
Eh bien, nous NE sommes PAS notre cer-
veau. Le cerveau est une base matérielle
nécessaire qui donne à l'homme son
caractère humain, ceci en interaction
avec le reste du corps, avec l'environne-
ment, et SURTOUT avec les autres. Il est
également une condition nécessaire,
mais insuffisante, pour appréhender le
drame humain, l'âme ­ en ce compris
l'âme malade.
Rares sont ceux qui ont mené une ré-
flexion sérieuse à ce sujet. Parmi eux,
Victor von Weizsäcker (5) est arrivé à la
conclusion que l'homme ne doit pas être
abordé sous l'angle microscopique ou
inframicroscopique, mais plutôt sous
l'angle des superstructures, ce qui est
donc précisément l'inverse. Ce n'est que
de cette manière que la formidable com-
plexité des phénomènes psychopatholo-
giques ­ notamment ­ pourra être sérieu-
sement appréhendée. Les molécules ne
permettront jamais de saisir cette com-
plexité.
L'alternative
anthropopsychiatrique
Ici, l'anthropopsychiatrie veut offrir une
alternative, qui est à mon sens la seule
approche possible et la seule correcte,
via une définition rigoureuse des propor-
tions et inflexions. Cependant, son ambi-
tion va bien au-delà, car si elle veut dé-
terminer la place exacte de la biologie,
elle vise également la réintroduction de
la psychanalyse, de l'analyse existen-
tielle et de la psychothérapie institution-
nelle. En outre, elle désire réaliser des
analyses sociales, politiques, juridiques,
pénitentiaires, voire économiques,
pour autant qu'elles puissent avoir trait
au fonctionnement pathologique de
l'homme, et de ce fait automatiquement
à son fonctionnement sain.
Une psychiatrie d'inspiration anthropo-
logique se doit d'être radicale. En refu-
sant tout compromis, elle veut examiner
le sujet humain dans toute sa singularité
et sa dignité, et c'est également en ce
sens qu'elle doit penser. Fini de compar-
timenter les gens en fonction de diagnos-
tics généraux, groupes cibles, groupes
homogènes de patients, etc. Une psy-
chiatrie anthropologique part de ce pa-
tient concret et désire des soins sur me-
sure, fruits de sa réflexion. Elle ne peut
pas non plus être intégrée comme telle
dans la psychiatrie actuellement en vi-
gueur: il faut choisir entre deux mondes,
deux paradigmes, deux types de psy-
chiatrie...