background image
38
l
Neurone
·
Vol 18
·
N°8
·
2013
Matériel et méthode
Les patients devaient être atteints de ma-
ladie d'Alzheimer modérée à sévère, dia-
gnostiquée et suivie régulièrement, quels
que soient leur lieu de vie et leur âge. Le
critère de sélection retenu était celui
d'une amnésie antérograde sévère. Il
s'agissait de séances d'écoute musicale.
Chaque séance durait environ 1 heure en
fonction des réactions du patient. Les
pièces musicales proposées étaient extrê-
mement nombreuses et variées (20 pour
chaque patient): chansons de variété
choisies en fonction de l'âge du patient,
en ciblant préférentiellement les chan-
sons de son enfance et de son adoles-
cence, mais aussi jazz, musique clas-
sique, folklore, comptines... Le choix de
la musique pouvait être orienté par la fa-
mille ou les proches, mais pas par le pa-
tient. Le temps d'écoute était d'environ
1 minute si l'air n'était pas reconnu.
L'écoute était complète si l'air était recon-
nu, fredonné, chanté. Chaque séance
était entièrement individuelle. Le prati-
cien était seul (préférentiellement) avec
son patient, pour éviter les distractions et
les manifestations de représentation
«mondaine» qui empêcheraient l'apaise-
ment, la concentration et le «lâcher prise»
nécessaire pour laisser la joie de la recon-
naissance se manifester et les souvenirs
faire irruption. En revanche, la plupart des
séances étaient entièrement filmées, avec
autorisation du droit à l'image, de façon à
pouvoir les re-visionner et partager un tra-
vail d'équipe. Il ne fallait pas influencer le
patient en cherchant à tout prix à faire
surgir les souvenirs. Il fallait mettre en
confiance par une écoute partagée et être
en totale empathie avec lui. Chaque pa-
tient possédait un dossier clinique, para-
clinique et psychologique complet, per-
mettant d'évaluer régulièrement le stade
de la maladie.
Résultats
Trente personnes ont bénéficié de 50
séances d'une heure chacune, à raison
de 1 à 5 séances par patient. Leur âge
s'étendait de 60 à 93 ans. Vingt-deux
vivaient à domicile avec leur famille et 8
en maison de retraite.
Sur les 30 patients, 30 ont reconnu au
moins 4 airs sur 20 (100%), 29 (97%) ont
ressenti et exprimé une joie, 29 (97%)
ont fredonné les chansons, 26 (87%) ont
chanté les paroles des chansons, faisant
ainsi appel à leur mémoire sémantique,
et 24 (80%) ont déclenché une mémoire
autobiographique (Tableau 1).
Description des séances
Au cours des séances, tant que le patient
tente de reconnaître des extraits musi-
caux et de répondre aux questions po-
sées par son interlocuteur en faisant ap-
pel à sa mémoire volontaire, le tableau
est caractéristique. Il s'agit d'un effort à
l'évidence pénible, parfois presque dou-
loureux, accompagné d'un sentiment
cruel de mise en échec. C'est la remé-
moration
.
Puis un thème musical est reconnu par la
mémoire involontaire: tout bascule, c'est
le déclic, le tournant de cette «mnémo-
stimulation»
. Lorsqu'elle a ainsi touché
la mémoire involontaire, elle s'accom-
pagne alors d'une expression de joie
immédiate
et souvent intense qui va
marquer l'entrée dans cet état psychique
assez particulier. Le comportement cor-
porel est le plus souvent caractéristique:
le patient se redresse, lève son visage et
arbore un sentiment de joie mêlé d'éton-
nement. Dans un deuxième temps, il fre-
donne l'air reconnu; il semble ne pas
pouvoir résister au désir de fredonner. Le
visage s'apaise, le corps et la tête se dé-
tendent. Le passage par ce moment de
détente, de «lâcher prise» est constant et
semble inhérent à cette expérience, que
l'on pourrait appeler «métamnésie».
Puis le patient chante les paroles de fa-
çon parfois parcellaire, mais souvent très
complète, témoignant d'une mémoire
sémantique
importante. Parfois le
charme semble rompu, le sujet se re-
dresse. Il vient de sortir de cet état psy-
chique.
Mais le plus souvent, le fredonnement et
le chant se continuent par des souvenirs
0
0,3
0,4
0,6
0,8
1
1 2 3 4 5
Joie
Airs chantés
M. sémantique
M. autobiographique
Tableau 1: Pourcentage des items (joie, airs chantés, mémoire sémantique et mémoire
autobiographique) observés chez les 30 patients.
Chez le patient atteint de
maladie d'Alzheimer,
l'amnésie des faits récents
devrait permettre de répéter
la même expérience avec
le même effet d'imprévu.