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l
Neurone
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Vol 18
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N°8
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2013
Elle se doit notamment d'être un puis-
sant antidote aux illégitimes prétentions
et aux présomptions des biologistes ré-
ductionnistes, au délire du DSM, à la
ploutocratie psychopharmaceutique et
au monde cognitivo-comportemental
triomphant, bien que superficiel. Les
ennemis sont puissants, la lutte sera
longue, mais la vérité du sujet malade
demande un engagement sérieux.
Sur quoi se fonde une telle psychiatrie?
Avec les conclusions de Ludwig
Binswanger en tête, Jacques Schotte af-
firme que seule la psychanalyse répond
aux conditions permettant d'offrir une
base à cette autre psychiatrie. La psycha-
nalyse dispose en l'occurrence d'une
méthodologie «ethic-proven», là où la
psychiatrie n'en a pas (autre vide). Tant
sur le plan thérapeutique technique
qu'en termes d'études, elle a prouvé
qu'elle fonctionne. Je vous renvoie à ce
sujet à une longue liste de publications
des 10 dernières années (vous les trouve-
rez dans mon livre) (6), que vous ne
connaissez probablement pas bien, car
elles sont réduites au silence, mais qui
démontrent dans les moindres détails
l'importance et l'efficacité de cette pen-
sée et, partant, de la thérapie qui en
constitue le fondement. En outre, la psy-
chanalyse peut puiser dans une énorme
quantité d'idées théoriques et elle entre-
tient des rapports inégalés avec toutes les
autres sciences humaines, telles que la
philosophie, la linguistique, la sociolo-
gie, l'anthropologie culturelle... et, last
but not least,
avec le monde artistique,
de la littérature aux arts de la scène, en
passant par la musique et les Beaux-Arts.
En ce sens, je prépare un ouvrage consa-
cré à la vie et à l'oeuvre de Richard
Wagner, classiquement considéré comme
marginal, mais néanmoins génial... Tout
comme Shakespeare et Dostoïevski, il
est l'un des précurseurs de Freud, dont
l'oeuvre a livré une analyse inégalée de
la complexité de l'âme humaine. En
outre, le fait qu'il était tout sauf un indi-
vidu ordinaire ou normal est très instruc-
tif pour nous: qu'est-ce que la maladie,
la normalité, le génie?
Que pourrait nous apprendre la science
cognitive à cet égard?
Il est peut-être également bon de (se) rap-
peler que la psychanalyse est la mère de
pratiquement toutes les psychothérapies
dérivées, à l'exception des sciences com-
portementales. Ces dernières années, la
psychanalyse se tient cependant sur la
défensive, car elle ne cadre pas bien dans
ces temps de vitesse, de goût pour la faci-
lité, de manque d'engagement et de vi-
sion à long terme. Contrairement à ce que
d'aucuns pensent, elle est bien vivante et
reste une source infinie d'inspiration.
Avec Freud et Mark Twain, elle peut affir-
mer: «Les messages de ma mort sont for-
tement exagérés...». Elle a quelque chose
d'un phénix ressuscitant sans cesse, d'une
mauvaise herbe tenace, «l'inconscient,
c'est de la merde»
(sic)... La psychana-
lyse est toujours pratiquée par un nombre
sans cesse croissant de thérapeutes, bien
que ce soit parfois sous sa forme édulco-
rée, «on analytic lines».
Toutefois, qui dit «psychanalyse» dit
également «inconscient»... un concept
qu'un certain nombre de psychiatres ont
toujours du mal à appréhender ­ et cela
va d'objections personnelles à une néga-
tion complète. Etrange, pour des per-
sonnes qui sont quotidiennement
confrontées à ses manifestations! Même
les premiers psychiatres n'ont pu négli-
ger ce concept. C'est ainsi que Griesin-
ger, qui a proclamé que «les maladies
mentales sont des maladies cérébrales»,
a affirmé en 1860 que le système neuro-
logique sensitif est séparé du système
moteur par une atmosphère intermé-
diaire mystérieuse. Selon lui, cette «at-
mosphère» est vaste et caractéristique de
l'individu, bien plus que le nombre rela-
tivement limité d'idées conscientes qui y
circulent (7). La part inconsciente est
donc bien plus importante.
Un siècle plus tard, Eric Kandel, prix
Nobel de médecine en 2000, est arrivé à
la conclusion qu'il pouvait tracer l'in-
conscient dans un certain nombre de
formes de mémoire qu'il étudiait, en
l'occurrence la mémoire narrative ou
explicite et la mémoire procédurale ou
implicite (8). L'une joue un rôle dans les
associations libres, l'autre dans le trans-
fert, deux mécanismes cruciaux dans le
cadre du processus analytique. La phy-
siologie cérébrale moderne peut encore
difficilement comprendre ses observa-
tions en faisant abstraction du concept
de l'inconscient, qui devient de plus en
plus une évidence fondamentale, suite
aux données de recherche cumulatives.
Depuis une dizaine d'années, cette évo-
lution donne lieu à l'une des sciences
explicatives les plus récentes: la neuro-
psychanalyse, qui jette continuellement
­ et avec succès ­ un pont entre les don-
nées d'études et les concepts issus de la
psychanalyse. A cet égard, les travaux de
Magistretti et Ansermet se révèlent exem-
plaires (9). Les concepts issus de la psy-
chanalyse trouvent chaque fois leur
confirmation dans les nouvelles données
d'études.
Par contre, et cela reste un problème, on
ne sait toujours pas comment on peut
faire de l'inconscient ­ qui échappe par
définition continuellement à toute ratio-
nalisation ­ une discipline universitaire
scientifique. Jacques Schotte a abordé
cette problématique en considérant l'in-
conscient au départ des pulsions (le
«Ça»), plutôt que de s'attacher aux idées
refoulées. En définitive, le circuit des
pulsions de Szondi constituera la base
de son anthropopsychiatrie. Par la suite,
Schotte a démystifié ces pulsions en les
mettant en relation avec les grandes
tâches vitales inhérentes à la condition
humaine. C'est ainsi qu'il est paradoxa-
lement arrivé à une structuration de l'in-
conscient dynamique, d'une manière
totalement différente de Lacan, par
exemple. En considérant les choses sous