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Vol 16
N°1
2013
20
cheveux d'un parent défunt avaient été
soigneusement incrustés a vu le jour.
Cette relique était portée contre le corps
afin de garder une part de l'autre auprès
de soi, une pratique qui illustre bien le
romantisme de cette époque. L'exposi-
tion foisonne d'exemples à ce sujet. Lors
de son exécution en 1793, le roi Louis
XVI a ainsi confié les cheveux de toute
sa famille à son fidèle compagnon de
cellule. Par la suite, ces cheveux ont été
incrustés dans des bijoux et même dans
un portrait. Au 19
e
siècle, une véritable
mode du «deuil par les cheveux» s'est
progressivement répandue en Angle-
terre et a ensuite aussi gagné la France.
Ce phénomène de mode a peu à peu
disparu à partir de la Première Guerre
mondiale.
Les cheveux peuvent également tomber
par vieillesse. La figure 4 montre la pho-
to d'une vieille femme avec les cheveux
très clairsemés, à qui il ne reste plus que
quelques mèches. Cette photo émou-
vante a été prise en 1983 par Nicholas
Nixon, qui travaillait comme bénévole
dans une maison de repos de Boston,
mais aurait préféré devenir photographe.
C'est la raison pour laquelle il a commen-
cé à photographier les personnes âgées. Il
décrit son travail comme quelque chose
de tout à fait ordinaire: les gens finissent
par vieillir et mourir.
LES CHEVEUX COMME
INSTRUMENT DE POUVOIR
Le troisième volet de l'expo, le plus exo-
tique selon moi, est consacré à «L'UTI-
LISATION DES CHEVEUX COMME INS-
TRUMENT DE POUVOIR». Pour les ama-
teurs de belles choses, cette partie est la
plus intéressante de l'expo. J'ai eu un peu
de mal à photographier les objets, car la
plupart d'entre eux se trouvaient dans des
vitrines. La figure 5 montre trois capes en
feutre d'origine chinoise, datant du début
du 20
e
siècle. Elles ont été fabriquées en
poils de yacks et de chevaux, mais des
cheveux humains y ont également été
incorporés afin de rendre la matière plus
dense et moins perméable. Trois fois par
jour, les femmes récupéraient tous les
cheveux sur leur peigne et les apportaient
à leur maître. En Chine, le fait de pou-
voir porter ce type de feutre était perçu
comme un signe de prospérité.
Dans certaines tribus, les cheveux des
ennemis entraient également dans la
composition de toutes sortes d'objets.
Ainsi, les chefs de certaines tribus in-
diennes, comme les Sioux, faisaient
coudre sur leur tunique, en signe de bra-
voure, les cheveux des ennemis qu'ils
avaient vaincus. Pour fabriquer ce genre
d'objets, il était intéressant de vaincre
des jeunes femmes, car ce sont elles qui
possédaient les plus belles chevelures,
mais aussi les plus longues. Des pouvoirs
magiques ont parfois aussi été attribués
aux cheveux. Ils peuvent ainsi être uti-
lisés pour renforcer les liens entre les
vivants et les ancêtres décédés. Dans
la mesure où les cheveux ne se décom-
posent pas et peuvent même continuer
à pousser après la mort, certaines tribus
sont convaincues qu'ils constituent le
portail entre la vie et la mort. Les che-
veux peuvent également être considé-
rés comme un trophée symbolisant la
victoire sur l'ennemi. C'est dans cette
optique que les Indiens scalpaient leurs
adversaires en prélevant leur cuir cheve-
lu et leurs cheveux. Lorsqu'ils arrêtaient
un ennemi, ils pratiquaient une inci-
sion circulaire sur son crâne et lui arra-
chaient le cuir chevelu. Le scalp devait
ensuite être soigneusement préparé. Les
cheveux récupérés étaient souvent très
longs, car beaucoup de tribus indiennes
ne se les coupaient pas. D'autres tribus
comme les Jivaros utilisaient des crânes
entiers pour fabriquer leurs trophées.
Par le biais d'un long rituel incluant
toute une série de manipulations méti-
culeuses, ils réduisaient l'ensemble du
crâne à la taille d'un poing au moyen
d'une technique d'extraction. Ces têtes
réduites étaient appelées tsantsas. Les
Munduruku (Brésil) tranchaient les têtes
de leurs ennemis, mais également celles
de leurs compagnons d'armes tombés
pendant la bataille (Figure 6). Le fait
de posséder ce genre de trophée leur
conférait un certain nombre d'avan-
tages, parmi lesquels une pension pen-
dant 4 ans. Ces têtes étaient intégrées
dans les vêtements du chaman et des
guerriers. Au Nigéria aussi, on fabriquait
des masques à partir de crânes humains,
appartenant probablement à des enne-
mis ou à des esclaves, qui étaient en-
suite recouverts de peau de bête. Ces
masques étaient utilisés lors de rituels
funéraires et d'initiation.
Infos pratiques: Cheveux Chéris. Frivolités et
trophées. Musée du quai Branly (www.quaibranly.
fr), jusqu'au 14/07/2013.
Figure 5: Capes en feutre contenant des
cheveux humains, Chine, 20
e
siècle.
Figure 6: Tsantsa (trophée fabriqué à partir
d'une tête), crâne et cheveux humains,
Murduruku, Brésil, 19
e
siècle. Le nombre de
cordelettes sortant de la bouche
correspondait au nombre de têtes
tranchées par le guerrier et lui donnait
droit à une pension.
Pour les religieux, un crâne
chauve est un symbole
de renoncement à la
sexualité et à l'individualité.
Les bouddhistes aussi se
rasent le crâne en signe de
détachement et d'ascétisme.