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oENo-SPHErE
MEDI-
SPHERE
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18 avril 2013
MS7580F
Billet d'humeur
Irriguer, ou pas?
L'irrigation, naguère impossible en france (sauf sur les toutes jeunes vignes), est à présent permise sauf là où les Aoc/AoP l'interdisent.
Est-ce un mal? Est-ce un bien? Je n'ai pas un avis très tranché sur la question.
o
n peut évidemment se
demander pourquoi les
Français s'interdiraient
plus longtemps une
technique couramment
employée ailleurs ­ sauf
à invoquer la fameuse exception française.
quoique... Et si c'était une question de
modèle économique? N'est-il pas étonnant
de vouloir continuer à limiter les planta-
tions au motif qu'on veut lutter contre la
standardisation des vins et de militer pour
l'irrigation, alors qu'elle gomme les diffé-
rences climatiques et contribue donc à cette
standardisation?
Par ailleurs, j'aimerais vous raconter une
petite histoire portugaise.
le développement de la viticulture en
alentejo, région très sèche au Sud du Por-
tugal, sur des zones qui ne produisaient
jusqu'alors que du blé, s'est fait unique-
ment grâce à l'irrigation. Jusqu'alors, seules
de petites zones propices produisaient du
vin (Portalegre, Moura, Cartuxa...). au-
jourd'hui, grâce à l'eau, la vigne s'est dissé-
minée dans toute la région, de Beja à Evora,
et même en algarve ­ simplement parce que
c'est la seule forme de viticulture rentable.
on peut produire du raisin sans eau dans
la région, mais peu et pas forcément tous
les ans. l'irrigation, elle, permet de garantir
un rendement correct et régulier d'année
en année; et toujours supérieur, en tout cas
à ceux enregistrés par les petits domaines.
de petits domaines qui, jusque-là, vivaient
sans, une année bien, une année mal, et pra-
tiquaient généralement la polyculture - le
blé, le bétail ou le chêne-liège pouvant com-
penser les difficultés passagères de la vigne.
de toute façon, rares étaient les domaines
alentejanos qui concevaient le vin comme
un article d'exportation massive avant les
années 1980. En vendre à lisbonne était
déjà un bel exploit.
aujourd'hui, la donne a changé. l'alentejo
est devenu la première région de vin au Por-
tugal si l'on excepte le vignoble du Porto.
Une marque comme Porta da ravessa
(Coopérative de redondo) est plus vendue
au Portugal que Mateus ou lancer's. Paral-
lèlement, une foule de caves particulières se
sont installées dans la région et proposent
chaque année de nouvelles cuvées: Her-
dade dos Grous, Maladinha Nova, Cortes
de Cima, etc...
tous ces nouveaux vins ne sont pas inin-
téressants, tous ne sont pas indispensables
non plus. on ne peut pas non plus parler,
au moins pour bon nombre d'entre eux, de
viticulture de terroir. l'irrigation modifie
dramatiquement les conditions naturelles
et donc le terroir, au sens propre, au point
qu'elle permet d'acclimater des cépages du
Nord du Portugal, comme le touriga Na-
cional. il y a donc deux alentejos, un avant
et un après l'irrigation.
Cette irrigation a été payée par l'Europe, un
quelconque fonds de développement rural.
Nous, en définitive. Nous avons donc payé
de nos deniers publics pour développer une
viticulture à un endroit où il n'y en avait
pas, pour favoriser la concurrence à des
vignerons existants. alors que l'Europe dis-
tille déjà pas mal de vins invendus. Et bien
sûr, se pose le problème de l'alimentation en
eau dans une région sèche.
Face à tout ça, je ne peux m'empêcher de
penser que quand l'état (national ou euro-
péen) intervient dans une activité commer-
ciale privée, il fait parfois de gros dégâts.
Par ailleurs, l'avis d'oenologues m'aiderait à
pousser plus avant la réflexion. Je me rap-
pelle avoir visionné il y a quelques années un
film suisse, «l'homme qui changeait l'eau
en vin», consacré à un millionnaire suisse
ayant décidé d'acclimater la vigne dans le
désert argentin. les vins qui sortent de ce
genre de wineries en valent-ils la peine?
Hervé Lalau
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