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l
Neurone
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Vol 17
·
N°9
·
2012
Plutôt que d'apprendre par coeur tous les
modèles métaboliques et interactions de
tel ou tel produit ou classe, il est bien plus
pratique de respecter quelques grands
principes de la pharmacologie, lesquels
permettent d'éviter facilement 90% des
pièges en termes de prescription.
La pharmacodynamique est sans
conteste l'aspect le plus important de
tout médicament, qu'il s'agisse d'un
neuroleptique, d'un antidépresseur ou
d'un anxiolytique. Nous devons en effet
savoir comment et pourquoi un produit
agit de telle ou telle façon. La question
est donc la suivante: «Que nous apprend
la pharmacodynamique de ce produit,
autrement dit, comment le produit inter-
agit-il avec l'organisme?» ou, plus exac-
tement, «Sur quel(s) récepteur(s) la molé-
cule agit-elle et avec quelle affinité?».
Aussi, les profils d'affinité pour les ré-
cepteurs (tableaux Ki) constituent la clé
de la sagesse pharmacodynamique.
Affinité pour un seul récepteur
Certains produits n'agissent que sur un
seul récepteur. C'est le cas des benzodia-
zépines, qui ne produisent leur effet que
sur le récepteur GABA-A. Les associer à un
autre produit de la même classe ne sert à
rien. C'est totalement inutile et cela ouvre
rapidement la voie au surdosage, à une
accumulation et, par conséquent, à des
effets toxiques. Prendre du bromazépam le
matin et du clonazépam le soir comme
somnifère est donc illogique d'un point de
vue pharmacodynamique. On peut objec-
ter que le profil pharmacocinétique est dif-
férent mais, souvent, ce n'est pas le cas des
métabolites qui peuvent facilement s'ac-
cumuler, ce qui entraîne couramment un
risque de déficit attentionnel cognitif et de
chutes chez les personnes âgées. Lorsque
l'on utilise des diazépines, il faut en effet
être conscient que de nombreux produits
génèrent une cascade de métabolites actifs
dont la demi-vie peut varier. Les benzodia-
zépines réellement pures produisent peu
de métabolites.
Les ISRS (escitalopram, citalopram,
fluoxétine, etc.) inhibent les transpor-
teurs de recapture de la sérotonine et
agissent tous sur le même récepteur. La
combinaison de 2 ISRS ou plus n'a donc
aucune utilité rationnelle. Il en va de
même pour les combinaisons ISRS +
IRSN. La plupart des IRSN inhibent uni-
quement la recapture de la noradréna-
line lorsque les concentrations sont éle-
vées. Ainsi, l'administration de venla-
faxine 150 ou 200mg ou de duloxétine
60 ou 120mg fait à coup sûr augmenter
la noradrénaline, mais à ce moment,
l'inhibition des transporteurs de la séro-
tonine est déjà très importante, si bien
que l'ajout d'un autre ISRS offre peu
d'avantage pour le traitement de la dé-
pression (le risque d'apparition d'un syn-
drome sérotoninergique est en revanche
bien réel, ce qu'il vaut mieux éviter).
Quid des médicaments qui
agissent sur plusieurs
récepteurs?
Certaines combinaisons de produits
agissant sur plusieurs récepteurs sont
tout aussi irrationnelles. La quétiapine
en faibles doses (par exemple < 400mg)
a un effet limité sur le récepteur dopami-
nergique D2 (action essentiellement irré-
versible), mais puissant (Ki: profil d'affi-
nité) sur les récepteurs H1, 5HT2a et
5HT2c, et son métabolite actif agit sur le
transporteur de la noradrénaline (NET).
La mirtazapine produit le même effet, si
bien que l'ajout de mirtazapine à un
schéma contenant déjà de la quétiapine
(en faible dose) n'a que peu d'intérêt,
voire aucun.
Pour la même raison, l'association de la
buspirone (un antagoniste du récepteur
5HT1-A) à des produits qui agissent déjà
intrinsèquement comme des agonistes du
récepteur 5HT1-A (p. ex., aripiprazole, zi-
prasidone, quétiapine, clozapine et aséna-
pine) renforce peu l'efficacité du traitement.
Dans les sous-groupes d'antipsycho-
tiques dits de «deuxième génération» ou
atypiques, on constate souvent aussi des
redondances. Ainsi, rien ne justifie l'uti-
lisation des combinaisons rispéridone +
palipéridone, d'une part, et quétiapine +
olazanpine + clozapine, d'autre part. En
revanche, la combinaison rispéridone +
quétiapine peut s'avérer plus utile. Tout
dépend du profil d'action sur les récep-
teurs et de l'affinité. Les considérations
d'ordre pharmacodynamique sont im-
portantes non seulement pour le choix
du traitement initial, mais peut-être en-
core davantage lors du passage à un
autre schéma thérapeutique. Pensez tou-
jours à la possibilité de régulation ascen-
dante des récepteurs. Après l'arrêt de la
rispéridone, par exemple, on peut obser-
ver une régulation ascendante du récep-
teur 5HT2-A (akathisie) qui ne sera pas
neutralisée par l'administration d'halopé-
ridol ou d'aripiprazole (lesquels ont peu
d'affinité pour le récepteur 5HT2-A). Un
passage rapide à l'aripiprazole après un
traitement de longue durée à base de
quétiapine entraînera la régulation as-
cendante d'une grande population de
récepteurs H1 (avec agitation, anxiété et
nervosité à l'avenant). Souvent, les effets
secondaires liés à l'arrêt du produit A
sont imputés à l'administration du nou-
veau produit B, si bien que la substitu-
tion est considérée comme un «échec».
C'est une erreur de jugement très fré-
quente. En effet, corrélation n'est pas for-
cément synonyme de causalité. Ainsi, en
cas de remplacement trop rapide de pro-
duits ayant une très grande affinité pour
les récepteurs D2 par des produits avec
une faible affinité pour ces récepteurs
(par exemple remplacement d'halopéri-
dol ou de rispéridone par la quétiapine),
la psychose (symptômes positifs) peut
réapparaître. A l'inverse, la dépression
peut revenir après le remplacement de la
quétiapine (puissant effet antidépresseur
intrinsèque) par l'halopéridol.
Les bons schémas de substitution veillent
donc toujours à mettre en oeuvre une
procédure progressive prévoyant une
période suffisamment longue de chevau-
chement des traitements, tout en prenant