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27
l
Neurone
·
Vol 17
·
N°9
·
2012
N1869F
p
oLypharMacie
:
Le
b
on
,
La
b
rute
et
Le
t
ruand
Même si la polypharmacie en psychiatrie clinique a tendance à être vivement
critiquée par les ardents défenseurs de l'EBM (evidence-based medicine) dont je
fais partie, il faut aussi rester réaliste et reconnaître que la prescription de
combinaisons de plusieurs psychotropes dans certaines situations naturalistes,
comme une résistance thérapeutique chronique, ne peut pas toujours être évitée.
Les recommandations EBM formulées sur la base d'ERC (essai randomisé contrôlé)
de qualité concernent souvent des groupes «sélectionnés» et ne sont pas toujours
en phase avec la réalité, compte tenu des nombreux critères d'exclusion
appliqués. Concernant l'utilisation des neuroleptiques chez les personnes âgées,
les enfants et les femmes enceintes, les recherches ne sont pas prêtes de se
terminer, ce qui se conçoit aisément. Pourtant, en soi, la polypharmacie ne
constitue pas forcément une mauvaise approche. Ainsi, les patients souffrant de
psychose peuvent nécessiter plusieurs traitements concomitants pour les
angoisses et les phases de dépression. Dans d'autres groupes, comme les
personnes atteintes de troubles bipolaires, il a été suffisamment démontré que le
traitement accru («augmented therapy»), consistant par exemple en un (voire
plusieurs) stabilisateur(s) de l'humeur combiné(s) à un antipsychotique atypique,
donne de meilleurs résultats que chacun de ces médicaments pris séparément.
Même pour les neuroleptiques, certaines combinaisons s'avèrent souvent
nécessaires et parfois même très efficaces, comme c'est le cas de l'association
aripiprazole à faible dose + autre neuroleptique atypique en prévention de
l'hyperprolactinémie.
De l'heuristique, des arguments d'autorité et de la méthode
«à-Dieu-vat»
Le danger ne réside donc pas tant dans la polypharmacie proprement dite, mais bien
dans la polypharmacie heuristique, voire alchimique, irrationnelle, autrement dit,
celle faisant appel à des combinaisons de médicaments illogiques ou superflues qui,
de ce fait, compromettent souvent l'efficacité clinique, vont à l'encontre du bon sens
économique et peuvent même donner lieu à de nombreux effets secondaires sévères.
On court ce risque lorsque l'on utilise des produits sur la simple base de leur classe.
On tombe alors rapidement dans l'heuristique et on en vient à prescrire un peu de
Dipiperon par-ci pour les troubles sous-jacents de la personnalité ou du caractère, un
peu de Lexotan
®
par-là comme anxiolytique en journée, un petit Rivotril
®
pour dormir,
un Risperdal
®
1mg pour les troubles du comportement, ainsi qu'un petit Cipramil
®
, de
la trazodone, etc. Cela paraît peut-être un peu caricatural, mais il suffit d'examiner
quelques ordonnances de patients chroniques pour se rendre compte que cet exemple
n'est pas dénué de toute vérité. Nihil humanum a me alienum puto.
La pharmacologie comme base scientifique d'un comportement
prescripteur raisonnable
Le seul moyen de ne pas tomber dans ces travers et d'utiliser les psychotropes de
manière rationnelle et scientifiquement raisonnable est de ne pas les aborder selon la
dyade produit/symptôme, mais plutôt selon une solide base pharmacothérapeutique,
autrement dit, en fonction des propriétés pharmacodynamiques et des modèles
d'interactions pharmacocinétiques documentés des différents produits.
Georges Otte
Neuropsychiatre et médecin-chef,
PC Dr. Guislain, Gent