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Le Spécialiste
12-11
5 décembre 2012
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«L
a liberté thérapeutique n'est pas
seulement l'essence de la liberté
professionnelle. Dans la pratique
quotidienne, il est crucial pour chaque méde-
cin de pouvoir choisir les médicaments les plus
adaptés aux patients
», a expliqué le Dr Luc De
Clercq, président du Vlaams Artsensyndicaat
Antwerpen, Limburg en Vlaams-Brabant, dans
son introduction. «La réalité économique
et financière actuelle met ce principe à rude
épreuve. Pour répondre à la crise, depuis le
1
er
avril, le gouvernement oblige les pharma-
ciens à choisir un médicament appartenant au
groupe des "moins chers" en cas de prescrip-
tion en DCI. Un mois plus tard, la substitution
obligatoire est entrée en vigueur pour les pres-
criptions d'antibiotiques et d'antimycosiques.
S'agit-il de mesures d'économies ou d'une
manière déguisée de restreindre et de contrô-
ler notre liberté thérapeutique?»
Contrôles renforcés
Par ailleurs, Luc De Clercq remarque que si la
liberté thérapeutique est bien ancrée dans la
loi, elle n'est pas illimitée. L'article 73 de la
loi AMI dispose que le médecin doit effectuer
ses prescriptions en «bon père de famille».
Tout contrevenant s'expose dans tous les cas
à une sanction. Celle-ci peut se limiter au
remboursement des délivrances superflues,
mais dans certains cas, la loi prévoit des
amendes pouvant atteindre 250.000 euros.
«Nous constatons que depuis que le gouver-
nement a prévu une économie de 20 millions
d'euros dans le secteur des médicaments pour
le budget 2012, les médecins-conseils des
mutualités réalisent des contrôles approfondis
des demandes de médicaments inscrits au cha-
pitre IV. Cela vaut autant pour une première
prescription que pour une prolongation»
,
précise le Dr De Clercq.
Légalement, il n'existe pour le moment au-
cune restriction de la liberté thérapeutique.
Toutefois, selon le Dr De Clercq, il est de facto
question d'une limitation et d'une érosion
de la liberté thérapeutique. L'Absym émet
des objections à cet égard. «Il s'agit d'une
violation du droit du patient à décider de son
traitement. Les mesures actuelles enfreignent
également le contrat de soins basé sur une
autorisation informée, pouvant ainsi entraî-
ner une violation de ce contrat.»
Le Dr De
Clercq n'est pas très optimiste pour l'avenir,
en raison de l'association du budget alloué
aux médecins aux prescriptions de médica-
ments et de l'extension des compétences de
contrôle par les mutualités.
Problème mondial
Le pharmacien porte quant à lui un regard
légèrement différent du médecin sur le ra-
tionnement des médicaments. «Pour nous, on
peut parler de rationnement à chaque fois que
le pharmacien se trouve dans l'impossibilité
de délivrer au patient le médicament dont il a
besoin»
, indique Filip Babylon, président de
l'APB. «La recherche d'une solution nous coûte
beaucoup de temps, que nous ferions mieux de
consacrer à l'accompagnement du patient.»
L'indisponibilité d'un médicament peut trou-
ver son origine à différents niveaux.
Elle peut tout d'abord se situer au niveau du
produit. «Ce problème se pose tous les jours
et gagne en importance, même au niveau
mondial»,
selon Filip Babylon. Les raisons en
sont multiples: l'extrême complexité de la
chaîne de distribution, la production globali-
sée des matières premières, la production au
niveau mondial avec des quotas nationaux,
les problèmes de qualité d'un lot spécifique,
les conséquences du marché libre et les stra-
tégies tarifaires qui en découlent, et enfin
la vulnérabilité de la Belgique en raison de
son statut de «petit marché». «Pour les pou-
voirs publics, il est très difficile d'agir sur ce
problème, justement parce qu'il dépasse nos
frontières.»
En revanche, le gouvernement peut influer
sur les règles qu'il met en place et qui
entraînent l'«indisponibilité» des médica-
ments. Ces règles se présentent sous diffé-
rentes formes. «Le premier type concerne la
prescription, qui porte bien son nom: il s'agit
bien d'une PREscription, autrement dit d'une
inscription préalable et non ultérieure»
, pré-
cise M. Babylon, qui se montre partisan de
la prescription en dénomination commune
internationale (DCI). «La prescription en DCI
trouve particulièrement son sens en service
de garde».
Il ajoute encore que la quantité
prescrite est la quantité maximale absolue
pouvant être délivrée.
Montants en suspens
Une deuxième catégorie de règles s'applique
au remboursement. La substitution obliga-
toire des antibiotiques et antimycosiques
en est un bon exemple. «Les premiers mois
suivant l'introduction du système, nous avons
rencontré des difficultés considérables sur le
plan de la disponibilité et de la gestion des
stocks. Dans 0,3% des cas, le médecin notait
une objection thérapeutique. Avec beaucoup
d'insistance, il est également possible
d'obtenir une dérogation de la part du phar-
macien, en cas de force majeure. Celle-ci est
invoquée dans 2% des prescriptions.»
Les pharmaciens en ont assez des règles
relatives au chapitre IV. «De plus en plus de
problèmes se manifestent à cause du délai
déraisonnable entre la demande et la délivrance
d'une attestation. Les mutualités pointent du
doigt le ministre qui veut économiser 20 mil-
lions d'euros, les médecins désespèrent et sont
noyés sous la charge administrative. Enfin, le
pharmacien risque de devenir la victime de cette
situation, car les montants en suspens dus aux
attestations en attente augmentent de façon
exponentielle. Une enquête montre que les
crédits atteindraient 3 à 6.000 euros. Si rien ne
change, nous allons devoir passer au paiement
au comptant»
, avertit le président de l'APB.
Filip Babylon indique encore que les patients
ne s'y retrouvent plus. «Ils ne comprennent
pas pourquoi leur médicament n'est pas dispo-
nible. Une bonne communication est dès lors
primordiale, avec le patient, mais aussi entre
médecin et pharmacien. En cas de problème,
ces derniers peuvent se contacter et recher-
cher ensemble la meilleure solution pour le
patient. Il est également important que le
médecin et le pharmacien lui fournissent des
informations exactes et univoques. Il est donc
préférable d'éviter de faire passer la commu-
nication entre médecin et pharmacien par le
patient»
, conclut le président de l'APB.
Filip Ceulemans
JS0272F
RATIONNEMENT DES MÉDICAMENTS
Incompréhension des médecins,
des pharmaciens et des patients
La liberté thérapeutique est un privilège particulièrement cher au
coeur des médecins de notre pays. Toutefois, la crise économique
et financière actuelle met ce principe à rude épreuve. L'Absym a
récemment organisé un symposium où ce problème a été examiné
sous divers angles.
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L'article 73 de la loi AMI dispose que le médecin doit effectuer ses prescriptions en «bon père de famille».