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Le Spécialiste
12-11
5 décembre 2012
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VOTRE ACTUALITÉ SOCIO-PROFESSIONNELLE
ment ou d'un médicament. Inscrire le coût des
médicaments sur la prescription serait peut-
être déjà une bonne chose»,
a suggéré
Jean-Jacques Cassiman.
Trop cher
Lieven Annemans, économiste de la santé,
s'est joint à la discussion. «D'un point de vue
éthique, il n'est pas acceptable de gaspiller
de l'argent. Il faut donc définir des critères.
Un nouveau médicament doit être meilleur
qu'un médicament plus ancien. Il faut aussi
se demander si le nouveau produit augmente
significativement le nombre de QALY et quel
est son impact sur le budget global. Enfin, une
dernière question qu'il faut oser se poser, c'est
celle de la nécessité médicale du traitement.
En fait, tout cela figure déjà dans une loi élabo-
rée par Frank Vandenbroucke, l'ancien ministre
des Affaires sociales, mais c'est encore trop peu
appliqué.»
Lieven Annemans pense également
que les médecins devraient pouvoir faire
entendre leur voix au sein de la commission
qui décide de la mise sur le marché et du
remboursement des médicaments.
«Le problème, c'est que nous ne savons pas
si un médicament est trop cher»
, a enchaîné
Jacques De Grève. «Nous ne savons pas com-
bien son développement a coûté.»
Pour Mi-
chiel Callens, il faut donc plus de transparence
dans la fixation du prix des médicaments.
Tous les participants au débat ont semblé
s'accorder sur la nécessité de revoir complè-
tement le système existant. Jacques De Grève
a soulevé la possibilité d'un système "pay for
value"
ou "pay for performance", dans lequel
les médicaments seraient remboursés sous
réserve d'une efficacité avérée. En cas d'échec
du traitement chez un patient, le coût serait
mis à la charge de la société pharmaceutique.
Le système est d'ores et déjà appliqué en
Grande-Bretagne pour certains médicaments.
«Pour les médicaments dont le résultat est
difficilement prévisible, c'est une possibilité
intéressante. Plusieurs sociétés pharmaceu-
tiques y sont d'ailleurs ouvertes»,
a signalé
Lieven Annemans.
Des budgets à réaffecter
Le nombre de cas de cancer augmente
de manière continue. D'après Jacques De
Grève, la société va donc devoir décider de
réaffecter certains budgets en faveur de la
prise en charge oncologique. «Cela signifie
évidemment qu'il faudra faire des économies
dans d'autres secteurs.»
Pour Michiel Callens,
la solution va de soi: «L'instauration généra-
lisée de la prescription sous DCI génère une
économie de 180 millions d'euros. Un autre
poste potentiel d'économie concerne les soins
palliatifs hospitaliers. Les gens veulent mourir
chez eux, mais les décès surviennent le plus
souvent à l'hôpital. En privilégiant davantage
les soins palliatifs à domicile, on répondrait à
la demande des patients et on diminuerait les
coûts.»
Et le rôle des autorités dans tout cela? Claire-
ment, la question était une pomme de dis-
corde entre les participants au débat.
Jean-Jacques Cassiman est resté dans le
vague, tout en gardant une perspective d'ave-
nir. «Comment allons-nous gérer les nanotech-
nologies, par exemple? Dans quinze ans, on
sera en mesure de remplacer tous les organes.
Les patients seront demandeurs, mais quel sera
le coût? Sur ce genre de questions, les auto-
rités doivent prendre leurs responsabilités.»

Pour Jacques De Grève, l'intervention des
autorités est toujours une mauvaise chose.
«Les systèmes communistes ont montré que
cela ne fonctionnait pas pour l'innovation. Les
autorités doivent cependant mettre en place
un cadre qui permette la création de nouveaux
développements. En fait, pour les soins onco-
logiques, il faudrait retourner au temps de la
pénicilline, lorsque l'efficacité l'emporte sur
la sécurité pour les patients chez qui toutes les
possibilités thérapeutiques ont été épuisées
ou qui se trouvent à un stade très avancé de la
maladie.»
Débat de société
La séance s'est terminée sur une question du
public: «Comment dire à un patient qu'il existe
un traitement qui lui permettrait de vivre bien
pendant trois à cinq mois, mais qu'on ne peut
pas le lui prescrire parce qu'il n'est pas rem-
boursé?»
Pour Jacques De Grève, on n'en est
pas encore là en Belgique: «Il n'y a pas beau-
coup de médicaments bons et efficaces qui ne
puissent pas être donnés. Cela dit, il faut veiller
à ne pas laisser s'installer une médecine à deux
vitesses.»
Lieven Annemans estime que cette
discussion doit être beaucoup plus ouverte au
sein de la société. «Aujourd'hui, la discussion a
lieu par l'intermédiaire des titres des journaux,
qui dénoncent le scandale que tel ou tel traite-
ment ne soit pas disponible.»
Filip Ceulemans
Qui est qui?
- Jean-Jacques Cassiman est professeur émérite à la KU Leuven, où il a enseigné
la génétique et l'embryologie et dirigé le centre de génétique humaine. Depuis
2010, il est président de la Ligue flamande contre le cancer. Il est également
vice-président de l'Association belge de lutte contre la mucoviscidose,
président du Fonds Maladies rares et médicaments orphelins de la Fondation
Roi Baudouin et membre de la Commission fédérale pour la recherche médicale
et scientifique sur les embryons.
- Jacques De Grève est chef du service d'oncologie médicale au Centre
oncologique de l'UZ Brussel et au laboratoire d'oncologie moléculaire de la
VUB. Il est également président de la Belgian Society of Medical Oncology
(BSMO).
- Lieven Annemans est professeur d'économie de la santé à la faculté de
médecine et des sciences de la santé de l'Universiteit Gent. Il enseigne
également la pharmaco-économie et les aspects économiques de l'activité
physique à la VUB. Par le passé, il a été président du Conseil flamand
de la santé et conseiller de l'ancien ministre des Affaires sociales Frank
Vandenbroucke en matière de politique de santé.
- Elke Van Hoof est psychologue clinicienne et auteur d'un doctorat sur la fatigue
chronique et la neuropsychologie. Elle enseigne actuellement la psychologie de
la santé et la psychologie médicale à la VUB, où elle supervise aussi plusieurs
projets de recherche. Elle dirige le Centre du cancer de l'Institut scientifique
de santé publique, où elle accompagne le Plan National Cancer de la ministre
des Affaires sociales Laurette Onkelinx et élabore des mesures en vue d'une
politique à venir.
- Michiel Callens dirige le département de recherche et développement des
Mutualités chrétiennes. Il a été collaborateur de cabinet du ministre flamand
de la Santé publique, a écrit plusieurs ouvrages sur des thèmes liés à la santé et
est aujourd'hui président du Registre du cancer.
- Dirk van Bekkum a été nommé directeur de l'institut de radiobiologie
nouvellement créé dans le giron de l'organisation néerlandaise de recherche
scientifique appliquée TNO en 1960, et l'est resté jusqu'en 1990. Il a été l'un
des fondateurs de l'Organisation européenne de recherche et de traitement
contre le cancer (EORTC), qu'il a présidée de 1969 à 1975. En 1977, il a
fondé le premier centre intégré d'oncologie (Integrale Kanker Centrum) à
Rotterdam. En 1990, il a créé l'entreprise de biotechnologie IntroGene, qui a
développé en 1993 une thérapie génique pour le traitement des maladies des
cellules souches et du cancer. Depuis 2009, il est vice-président de Cinderella
Therapeutics, une organisation à but non lucratif qui s'est donné pour mission
de poursuivre le développement de médicaments prometteurs mais négligés.
Acceptabilité sociale
D'après Lieven Annemans, économiste de la santé, l'une des tâches les plus
importantes des autorités dans ce débat épineux consiste à fixer les limites de
l'acceptabilité sociale. «La question n'est pas de savoir si un traitement est trop cher,
mais de décider s'il vaut la peine. Sur ce plan, les autorités doivent jouer leur rôle et
envoyer des signaux à l'industrie, qui ne tardera pas à suivre.»
Une recommandation émise par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en
2005 peut servir de fil conducteur. D'après l'OMS, il doit exister une corrélation
entre le coût d'un traitement et le produit intérieur brut (PIB). Pour la Belgique, le
coût limite d'un traitement (par année de vie supplémentaire) s'élèverait ainsi à
32.000 euros. «Dans des cas exceptionnels, cette limite peut être revue à la hausse»,
ajoute Lieven Annemans. «Le problème en oncologie, c'est qu'on a toujours pensé
que tout devait être possible, quel qu'en soit le prix. L'industrie s'est évidemment
empressée d'en profiter. Mais on oublie parfois que d'autres patients doivent aussi
pouvoir bénéficier d'un traitement.»
«Un gros problème, dans
toute cette discussion,
c'est que les médecins
ne sont pas formés à la
gestion des coûts. La
plupart d'entre eux n'ont
pas la moindre idée du coût
d'un traitement ou d'un
médicament.»
«Il n'y a pas beaucoup
de médicaments bons et
efficaces qui ne puissent
pas être donnés. Cela dit,
il faut veiller à ne pas laisser
s'installer une médecine à
deux vitesses.»