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I
Le Spécialiste
12-11
5 décembre 2012
www.lespecialiste.be
I
l y a quelques mois, le Pr Jean-Jacques
Cassiman avait donné un coup de pied
bien nécessaire dans la fourmilière
en déclarant: «Il faut faire des choix et en
période de difficultés économiques, il n'est
pas acceptable de prescrire des traitements
anticancéreux qui coûtent cher et qui ne per-
mettront peut-être de gagner que deux mois
de vie»
. D'après lui, il n'est plus possible de
consacrer 100.000 à 200.000 euros par an et
par patient. Cette prise de position a lancé
un débat éthique, et donc difficile presque
par définition. Les déclarations du profes-
seur émérite de la KU Leuven ont en partie
été à l'origine d'un symposium organisé par
les centres d'oncologie du ZNA (Ziekenhuis
Netwerk Antwerpen) et de l'UZA (Universi-
tair Ziekenhuis Antwerpen) sur le thème «Les
soins oncologiques sont-ils encore abordables
en 2012?».
«Nous devons penser à l'avenir des soins onco-
logiques»
, a expliqué Jean-Jacques Cassiman
à l'appui de ses déclarations précédentes.
«Des technologies et des traitements nou-
veaux, mais aussi de plus en plus chers font
sans cesse leur apparition. La question que
nous devons nous poser, c'est celle de savoir
s'il va falloir soumettre l'utilisation de ces
traitements à certains critères.»
L'un de ces
critères étant l'âge du patient.
Scandale
«Ce critère d'âge existe déjà», a précisé Mi-
chiel Callens. «Le dépistage du cancer du sein
est limité aux femmes entre 50 et 69 ans. Les
femmes plus âgées (ou plus jeunes) peuvent
aussi être confrontées à la maladie mais elles
ne bénéficient d'aucun remboursement pour
le dépistage.»
Pour Jacques De Grève, l'appli-
cation d'un critère d'âge est un véritable
scandale. «L'âge ne peut pas être un critère de
sélection. Dans quelle société vivons-nous,
si nous ne pouvons plus offrir une prise en
charge optimale aux patients à partir d'un
certain âge? L'exemple du dépistage du cancer
du sein cité par Michiel Callens est tout bonne-
ment scandaleux.»
Une prise de position que ne partage pas
Michiel Callens: «L'âge et la qualité de vie sont
pourtant des éléments essentiels. Par exemple,
lorsqu'une personne démente est atteinte d'un
cancer, il n'y a pas lieu de poursuivre le traite-
ment. Il ne faut évidemment pas aller aussi loin
qu'aux Pays-Bas, qui ont fixé un "âge limite"
à 80 ans.» Ce concept d'âge limite est une
abomination, Michiel Callens et Jacques De
Grève sont entièrement d'accord sur ce point.
Quant à savoir si un patient dément doit
bénéficier de soins oncologiques, ils sont déjà
moins clairement unanimes. «L'exemple cité
par Michiel Callens n'a rien à voir avec l'âge,
il s'agit plutôt d'une question de comorbidité»
,
a répondu Jacques De Grève.
Traitements inutiles
«Dans ce débat sur l'âge, on oublie une dimen-
sion»
, a souligné Jean-Jacques Cassiman.
«Quand on parle ouvertement avec des per-
sonnes d'un certain âge, souvent ce sont elles
qui disent qu'il n'est plus nécessaire de traiter.
De nombreux traitements "inutiles" pourraient
donc être évités.»
D'après Elke Van Hoof, la question de savoir
si l'âge peut être un critère pour la prise en
charge du patient n'appelle pas une réponse
unique. «Chaque patient est différent. Mais à
un certain âge et avec une certaine comorbi-
dité, beaucoup de gens choisissent de ne pas
continuer le traitement»
, a-t-elle affirmé, en
accord avec Jean-Jacques Cassiman. «Il faut
l'admettre, les personnes concernées posent
souvent, pour ne pas dire presque toujours,
une condition importante: le temps qu'il leur
reste doit être "agréable". Différents facteurs
peuvent influencer leur décision. Les patients
qui sont très entourés par leur famille et leurs
amis ne réagissent pas de la même manière
que ceux qui sont totalement isolés. Il en va
du rôle et de la tâche du médecin traitant
d'apporter son soutien.»
«Du reste, la question de l'âge est souvent
prise par le mauvais bout»,
est intervenu Dirk
van Bekkum. «Le médecin doit uniquement
tenir compte de l'âge biologique du patient,
et non de son âge chronologique. Une per-
sonne de 90 ans peut parfois être en meilleure
santé qu'une personne de 50 ans, ou même
qu'une personne de 20 ans.»
Chez lui, aux
Pays-Bas, Dirk van Bekkum mène une lutte
acharnée contre l'utilisation de l'âge comme
critère exclusif de prise en charge. «L'exclu-
sion de certains patients sur la base de leur âge
est contraire à la constitution néerlandaise et
à l'article 13 de la Convention européenne des
droits de l'homme, qui prévoient qu'il ne peut
y avoir aucune discrimination liée à l'âge. J'ai
intenté un procès à l'Etat néerlandais, car la
décision du gouvernement d'instaurer malgré
tout une limite d'âge viole ces deux textes
législatifs.»
Pas la moindre idée...
Les membres du panel se sont accordés assez
largement sur le fait que l'âge (seul) ne pou-
vait pas constituer un critère suffisant. Mais
quelle serait la solution? Pour Jacques De
Grève, la réponse est claire. «Deux critères
doivent être pris en compte par le médecin:
l'efficacité du traitement et la toxicité du trai-
tement»
, a insisté le professeur bruxellois.
Un avis appuyé par Dirk van Bekkum dans
des termes légèrement différents: «Le méde-
cin est le seul à pouvoir décider du traitement,
en concertation avec son équipe. Il est de son
devoir de servir l'intérêt du patient, de son
patient. Il n'a pas à se soucier du reste de la
société.»
Un point de vue totalement dé-
passé, selon Michiel Callens. «Actuellement,
10% du PIB vont aux soins de santé. Des études
néerlandaises montrent que si nous laissons les
choses suivre leurs cours, ce chiffre grimpera
jusqu'à 50% du PIB. Personne ne veut cela. Il
faut donc impérativement faire des choix.»
Pour Elke Van Hoof, il n'est plus réaliste que
le médecin puisse prendre toutes les déci-
sions, quel que soit le coût du traitement.
«Un gros problème, dans toute cette discus-
sion, c'est que les médecins ne sont pas formés
à la gestion des coûts. La plupart d'entre eux
n'ont pas la moindre idée du coût d'un traite-
JS0266F
SYMPOSIUM ORGANISÉ PAR L'UZA ET LE ZNA
Les soins oncologiques sont-ils encore
abordables en 2012?
Dans notre pays, le nombre de cas de cancer augmente d'année en
année et le prix des traitements ne cesse de grimper. La société peut-
elle continuer à financer tous les traitements? En cette période de
crise économique et financière, la question est d'une actualité criante.
Jean-Jacques Cassiman:
«Des technologies et des
traitements nouveaux,
mais aussi de plus en
plus chers, font sans
cesse leur apparition. La
question que nous devons
nous poser, c'est celle
de savoir s'il va falloir
soumettre l'utilisation de
ces traitements à certains
critères.»
D'après Jacques
De Grève, la société va
devoir décider de réaffecter
certains budgets en faveur
de la prise en charge
oncologique.
Lieven Annemans estime
que cette discussion doit
être beaucoup plus ouverte
au sein de la société.
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