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Pharma-Sphere 168
Novembre 2011
Pièges diagnostiques
Les problèmes d'alcool chez les sujets âgés ne sont souvent pas
(assez vite) identifiés ou sont sous-diagnostiqués, avant tout parce
que les critères diagnostiques usuels pour les adultes jeunes sont
difficilement applicables à ce groupe de patients (tableau 1). Par
ailleurs, chez ces sujets, les éventuels symptômes de l'alcoolisme
sont plus souvent attribués à l'âge ou à des affections telles
qu'anxiété, pertes de mémoire et chutes. Mais le patient lui-même
ne s'exprime pas franchement. Il ou elle niera souvent la probléma-
tique de dépendance, la rationalisera ou la minimisera, parfois à
cause de problèmes cognitifs dus à la consommation d'alcool.
Dr An Haekens: «Les chiffres de l'enquête belge de santé et du
Nederlandse Gezondheidskompas indiquent que, par rapport aux su-
jets plus jeunes, les personnes âgées demandent beaucoup moins
rapidement de l'aide. Sur ce plan, nous observons toutefois un
changement ces dernières années: la nouvelle génération de seniors
fera plus facilement appel aux soins de santé mentale. Parfois, les
problèmes sont minimisés ou masqués par la famille, en raison de
sentiments de culpabilité. Je sais par expérience que le phénomène
de co-dépendance s'observe également régulièrement chez les cou-
ples âgés.
Il règne également une grande permissivité vis-à-vis de la consom-
mation d'alcool chez les sujets âgés, même dans les maisons de
repos, mais il peut également simplement arriver que personne ne
remarque qu'une personne âgée a un problème d'alcool.»
Profil de l'alcoolique âgé
On établit une distinction entre les early drinkers, ou buveurs
précoces (survivors), et les late onset drinkers, ou buveurs tardifs.
Le premier groupe représente 2/3 des alcooliques âgés. Ce sont en
fait les alcooliques qui ont vieilli. De manière générale, il s'agit de
personnes ayant une personnalité les prédisposant à ce problème,
qui ont déjà une longue histoire d'alcoolisme. Par contre, les late
onset drinkers sont des sujets qui ne buvaient pas ou des buveurs
occasionnels qui, au fil du temps, sont devenus alcooliques. Dans
de nombreux cas, un événement bouleversant (life event) en est
le déclencheur. Comme exemples, citons la perte du conjoint,
l'approche de la mort, l'isolement, des problèmes relationnels, les
affections liées à l'âge et la pension.
Dr An Haekens: «Dans de nombreux cas, c'est précisément le
partenaire qui assurait un rôle de contrôle et de limitation qui dis-
paraît, ce qui peut faire augmenter la consommation d'alcool, en
plus du chagrin associé à cette perte. La pension peut également
être un moment dangereux: nombreux sont ceux qui y aspirent, mais
certains n'arrivent pas à intégrer de nouveaux ou d'autres rôles signi-
ficatifs.
Les personnes qui consommaient précédemment de l'alcool en réac-
tion à des événements stressants, sans consommation probléma-
tique, ont davantage de risques de devenir dépendantes à un âge
plus avancé. Elles ont toujours utilisé l'alcool en tant que coping en
cas de déboires ou de situations difficiles et ont appris que l'alcool
remplace temporairement les contrariétés par un bonheur. Parfois, il
est difficile d'établir si un événement donné, comme un divorce, est
la cause ou la conséquence de l'alcoolisme. D'après Brennan (1999),
la consommation problématique et les événements stressants (life
stressoren) se renforceraient mutuellement, tandis qu'une consom-
mation modérée et des life stressoren s'atténueraient par contre
mutuellement. Les late onset drinkers peuvent être définis comme
des personnes plutôt solitaires suite à un manque de réseau social.
La disparition d'une structure professionnelle et des responsabilités
peut être un élément déclenchant de la consommation d'alcool pro-
blématique. Le plus souvent, leur état de santé est moins bon que
celui des non-buveurs (en raison du stress, de déboires, de pertes,
d'une diminution de la mobilité...) et ces sujets présentent un cer-
tain nombre de caractéristiques typiques de personnalité passive
dépendante, telles que pessimisme, inactivité ou sentiments de cul-
pabilité, et une stratégie de gestion dépendante. Dans ce groupe,
Tableau 1: Les critères diagnostiques pour la dépendance à l'alcool sont difficilement applicables à la population âgée.
·
Difficultés sociales ou professionnelles: les sujets âgés n'ont souvent plus d'activité professionnelle (pension) et n'ont souvent
qu'un réseau social restreint.
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Symptômes de sevrage: les sujets âgés ne présentent souvent aucun symptôme de sevrage, car ils ne doivent jamais interrompre
leur consommation pendant une longue période.
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Quantité et fréquence pour les adultes jeunes: le diagnostic peut donc facilement être manqué chez les sujets âgés, étant donné
qu'ils prennent souvent des médicaments ou souffrent d'affections chroniques. En outre, la sensibilité vis-à-vis de l'alcool augmente
avec l'âge.
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Conséquences physiques: les sujets âgés ont de toute façon davantage de probabilités de souffrir de pathologies multiples.
On établit une distinction entre
les early (survivors)
et les late onset drinkers.
Les problèmes d'alcool chez les sujets
âgés ne sont souvent pas (assez vite)
identifiés ou sont sous-diagnostiqués.