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Pharma-Sphere 168
Novembre 2011
avec les cascades de signalisation intracellulaires, et notamment
celles initiées par la liaison des facteurs de croissance à leurs
récepteurs. En effet, ces voies sont souvent inactivées via une
déphosphorylation médiée par des tyrosines phosphatases (PTP).
En oxydant un résidu cystéine essentiel au fonctionnement du site
actif de ces enzymes, les ROS inactivent les PTP, ce qui a pour effet
de prolonger l'activation des récepteurs des facteurs de croissance
et de stimuler la prolifération cellulaire. Les ROS peuvent également
activer certains facteurs de transcription comme AP-1 ou NF-kB,
qui inhibent l'apoptose et contrôlent nombre de gènes essentiels
à la prolifération des cellules tumorales. Le métabolisme énergé-
tique des cellules cancéreuses est aussi profondément altéré par
la surproduction de ROS. Enfin, les ROS seraient impliqués dans
l'acquisition d'un potentiel métastatique accru, fournissant une
preuve supplémentaire de leur influence sur l'évolution du cancer.
Vers de nouvelles opportunités
thérapeutiques?
La perte de l'homéostasie redox au sein des cellules tumorales
représente une intéressante différence biochimique entre cellules
saines et cellules malignes qui pourrait être la cible de futures
thérapies anticancéreuses. Cependant, deux visions radicalement
différentes s'affrontent quant aux moyens pour y parvenir.
Une première approche part de l'hypothèse que l'utilisation d'anti-
oxydants devrait diminuer les dommages oxydatifs et prévenir la
croissance tumorale, en limitant la production de ROS par les cel-
lules cancéreuses et le stress oxydatif chronique qui en découle.
Cette approche a montré de bons résultats dans certains modèles
d'animaux porteurs de tumeurs à croissance HIF-1-dépendante.
Cependant, et malgré de nombreuses études cliniques sur le sujet,
rien ne permet d'affirmer que la supplémentation en antioxydants a
un réel effet chez l'homme, tant dans le cadre de la prévention que
dans celui du traitement du cancer. Au contraire, certaines études
ont soulevé un risque potentiel d'interférences avec les traitements
standard actuels (chimiothérapie et surtout radiothérapie), ce qui
pourrait limiter l'efficacité de ces derniers.
Une autre approche, plus récente, part de l'hypothèse qu'une cel-
lule cancéreuse devrait être d'autant plus sensible à un apport
en espèces oxydantes qu'elle présente à la base un stress oxy-
datif chronique. Un tel apport n'aurait que des effets limités sur
les cellules saines, étant donné que celles-ci ne présentent pas
d'altérations de l'homéostasie redox. En accord avec cette théorie,
plusieurs nouvelles études de screening ont permis l'identification
de petites molécules productrices de ROS qui se révèlent létales
pour les cellules transformées, mais épargnent les cellules saines.
Il est intéressant de souligner qu'un certain nombre d'agents an-
ticancéreux possédant une activité génératrice de ROS ont déjà
démontré leur efficacité thérapeutique. Il en est ainsi du trioxyde
d'arsenic (As2O3), utilisé en cas de récidives de certaines leucé-
mies promyélocytaires aiguës et pour lequel il existe un faisceau
convergent d'éléments qui indiquent que le mécanisme antitumoral
repose sur la production de ROS. En outre, la formation de radi-
caux participe probablement aux effets antitumoraux de nombreux
agents chimiothérapeutiques et les ROS jouent un rôle certain dans
l'efficacité de la radiothérapie (d'où le risque d'inhibitions lors de
l'utilisation d'antioxydants). Cependant, l'utilisation de molécules
productrices de ROS a ses limites, notamment dues au manque
de spécificité de ces espèces réactives. Pour exemple, les effets
secondaires toxiques de certains agents cytotoxiques s'expliquent
par une génération non désirée de ROS au niveau des tissus sains.
C'est pourquoi une stratégie plus élégante dans le but d'augmenter
le niveau de stress oxydatif des cellules tumorales consisterait à
inhiber certaines de leurs défenses antioxydantes. En effet, de
manière à compenser leur surproduction de ROS, les cellules can-
céreuses surexpriment parfois certains systèmes antioxydants.
Ainsi, il a été récemment démontré que l'activation d'oncogènes
au sein de cellules non transformées entraîne non seulement un
stress oxydatif, mais aussi une réponse cellulaire d'adaptation qui
passe par l'activation du facteur de transcription Nrf2 (Nuclear fac-
tor (erythroid-derived 2)-like 2). Celui-ci contrôle un grand nombre de
gènes impliqués dans la réponse antioxydante et dans la détoxifi-
cation des xénobiotiques électrophiles. L'activation de Nrf2 permet
à la cellule tumorale de contrebalancer la production de ROS in-
duite par les oncogènes, mais aussi de résister à l'effet cytotoxique
de plusieurs agents chimiothérapeutiques. L'activation de Nrf2,
tout comme la mutation de son répresseur Keap1 (Kelch-like ECH-
associated protein 1), sont des altérations que l'on peut observer
en clinique, notamment dans le cas du cancer de l'ovaire, du pan-
créas et du poumon non à petites cellules. Ces données illustrent
l'importance pour les cellules cancéreuses de pouvoir s'adapter au
stress oxydatif. Elles soulignent également l'extrême dépendance
des cellules tumorales envers certaines défenses antioxydantes et
donc leur vulnérabilité à toute inhibition de celles-ci.
Conclusions
Comme exposé au cours de cet article, la relation entre stress
oxydatif et cancer apparaît bien souvent paradoxale et est forte-
ment dépendante du contexte. Si le rôle potentiel des ROS dans
la phase d'initiation du cancer suggère une possible utilisation
d'antioxydants dans le cadre de la prévention du cancer, ces mêmes
antioxydants ne sont a priori pas indiqués dans un contexte de
thérapie anticancéreuse. Dans ce cas, l'option la plus pertinente
pourrait être de forcer les cellules tumorales à produire plus de
ROS, amenant alors celles-ci à un point de non-retour où leur survie
n'est plus possible. Ce faisant, une telle stratégie tirerait parti de
l'altération de l'homéostasie redox des cellules cancéreuses, peut-
être le véritable talon d'Achille du cancer.
Références: sur demande
L'option la plus pertinente pourrait être
de forcer les cellules tumorales
à produire plus de ROS, amenant alors
celles-ci à un point de non-retour
où leur survie n'est plus possible.