background image
I
23
Le Spécialiste
13-16
9 octobre 2013
www.lespecialiste.be
L
a chirurgie a clairement évolué vers
un plus grand bien-être de la femme
et la préservation du tissu mam-
maire. En effet, si mastectomie et dissec-
tion axillaire faisaient partie du quotidien
il y a 25 ans, «elles sont aujourd'hui rem-
placées par une chirurgie conservatrice
avec prélèvement du ganglion sentinelle»
,
rappelle François Duhoux. Cette attitude
a été rendue possible grâce à l'apport
de grandes études randomisées réalisées
dans la foulée d'une théorie proposée par
Fisher en 1954: le cancer du sein est, dès
le départ, une maladie systémique. «Et
qui doit donc être traitée comme telle.»

Dans ce contexte, si Veronesi avait pu
démontrer le bénéfice de la chirurgie
conservatrice, au prix cependant d'une
augmentation des récurrences locales (4),
on sait aussi à présent que la radiothéra-
pie associée à cette chirurgie minimale
permet une réduction significative des
récurrences (5). Enfin, le passage de la dis-
section axillaire totale à la biopsie du gan-
glion sentinelle a considérablement réduit
le risque de lymphoedème, tout en étant
aussi efficace en termes de bilan tumoral.
Hormonothérapie: que de
vies sauvées!
C'est au cours des années `60 que l'histoire
de l'hormonothérapie a réellement débuté,
facilitée par la découverte du tamoxifène
par Dora Richardson. Ce SERM à l'action
anti-estrogénique au niveau mammaire
réduit et l'incidence des récurrences (ipsi-
et contralatérales) et la mortalité chez les
femmes positives pour les récepteurs aux
estrogènes (ER+ PR+ et ER+ PR-, et donc
pas en cas de récepteurs ER- PR+ ou ER-
PR-) et ce, qu'elles aient ou non une exten-
sion ganglionnaire, qu'elles reçoivent ou
non une chimiothérapie, et quel que soit
leur âge (6). L'étude ATLAS a montré dans
un deuxième temps qu'un traitement par
tamoxifène d'une durée de 10 ans offre
de meilleurs résultats en termes de risque
de récurrence (7). Enfin, les inhibiteurs de
l'aromatase (anastrozole, letrozole, exe-
mestane) sont supérieurs au tamoxifène
en survie sans progression, mais n'offrent
pas d'avantage en survie globale. Reste
encore un défi à résoudre, celui de la résis-
tance aux traitements endocriniens, ce qui
pourrait être résolu par la combinaison
d'un anti-estrogène et d'un inhibiteur de la
mTOR comme le suggère un premier essai
associant everolimus et exemestane qui
offre un gain de 62% en survie sans pro-
gression (8).
Chimiothérapie: l'ère des
signatures géniques
Les années `80 et `90 ont montré une cer-
taine hiérarchie en termes d'efficacité, les
anthracyclines étant supérieures au schéma
CMF qui donne de meilleurs résultats que
le placebo, une méta-analyse récente ayant
montré que la combinaison anthracycline +
taxane est celle qui permet la meilleure sur-
vie (9). Mais les progrès les plus manifestes
ont été réalisés depuis que l'on a pu déter-
miner avec le profil d'expression génique
(les `signatures') qu'il existe des patientes
à bon et à mauvais pronostic (10). Dans ce
contexte, MINDACT (Microarray In Node-
negative and 1 to 3 positive lymph node Di-
sease may Avoid ChemoTherapy
) ­ un essai
prospectif randomisé de phase 3 compa-
rant la signature génomique d'Amsterdam
aux critères cliniques et anatomo-patholo-
giques usuels pour la sélection de patientes
ayant un cancer du sein avec 0 à 3 ganglions
envahis susceptibles de bénéficier d'une
chimiothérapie adjuvante ­ a montré non
seulement que c'était possible mais aussi
que cela pouvait aboutir à une proposition
thérapeutique efficace, y compris chez les
femmes de plus de 70 ans (11).
Traitements ciblés: la
nouvelle donne
1982 marque la découverte par Weinberg
des récepteurs ERB-b dont HER-2 est l'un
des 4 membres. Sept ans plus tard, Axel
Ullrich développe le premier anticorps
contre cet HER-2 dont la surexpression
péjore gravement le pronostic du cancer
du sein. L'administration de cet anticorps,
le trastuzumab offre aux femmes avec can-
cer du sein métastatique HER2neu+ une
meilleure survie que les femmes HER2/neu-
(12), la survie sans progression étant amé-
liorée de 46% par rapport au placebo après
un an de traitement (13). Quant à la durée
optimale du traitement, il semble acquis
aujourd'hui qu'elle est bien de 12 mois, une
durée de 2 ans n'améliorant pas le pronos-
tic, tandis que 6 mois de traitement ne sont
pas `non-inférieurs' à 12 mois (14). Depuis
lors, d'autres agents anti-HER ont démontré
leur efficacité: le lapatinib (15) et le pertuzu-
mab (16), l'association de ce dernier au tras-
tuzumab étant supérieure au trastuzumab
seul, comme l'a démontré l'essai CLEO-
PATRA qui se basait sur le profil d'action
complémentaire du pertuzumab (17). Enfin,
dernier venu extrêmement prometteur, un
anticorps conjugué trastuzumab-emtanzine
(T-DM1), est un peu un cheval de Troie. En
effet, c'est le principe de l'internalisation
du trastuzumab qui a été exploité pour
vectoriser de manière spécifique dans les
cellules tumorales surexprimant HER2 un
agent cytotoxique inhibant la polymérisa-
tion des microtubule: l'emtansine, que les
oncologues ne voulaient pas utiliser du fait
de sa toxicité extrême. La médiane de survie
globale à 24 mois s'est établie à 30,9 mois
contre 25,1 mois, ce qui a conduit à arrê-
ter prématurément l'essai et à proposer le
traitement par T-DM1 à toutes les femmes.
La survie sans progression appréciée par un
clinicien indépendant de l'étude s'est établie
à 9,6 mois dans le groupe T-DM1 contre 6,4
dans le groupe comparateur.
L'avenir
Le cancer du sein reste le premier en inci-
dence et en mortalité chez la femme en
Belgique. Fort heureusement, la recherche
est loin d'être terminée, avec l'apparition
de nouvelles cibles potentielles: PARP
dans les cancers BRCA1/2, le CDK 4/6, la
combinaison mTOR1/mTOR2, le FGFR1...
«Ce qui ne veut pas dire que l'on pourra se
contenter d'un traitement»
, conclut Fran-
çois Duhoux, «car nous savons à présent
que chaque cancer du sein peut compor-
ter des cibles différentes simultanées ou
séquentielles, qu'il faudra donc traiter en
fonction de ses particularités.»
Dr Dominique-Jean Bouilliez
Références
1.
Parkin D, et al. Cancer incidence in Five Continents.
Vol VIII. IARC Sc. Publ. N° 155, Lyon, France, 2002
2.
Berrino F, et al. Lancet Oncol 2007;8:773-83.
3.
Verdecchia A, et al. Lancet Oncol 2007;8:784-96.
4.
Verionesi U, et al. N Engl J Med. 2002;347(16):1227-
32.
5.
Fisher B, et al. N Engl J Med. 2002;347(16):1233-41.
6.
Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group
(EBCTCG). Lancet. 2011;378(9793):771-84.
7.
Davies C, et al. Lancet. 2013;381(9869):805-16.
8
Piccart M, et al. ASCO 2012. Abstract#559.
9.
Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group
(EBCTCG). Lancet. 2012;379(9814):432-44.
10. van de Vijver M, et al. N Engl J Med.
2002;347(25):1999-2009.
11. Rutgers E, et al. Eur J Cancer. 2011;47(18):2742-9.
12. Dawood S, et al. J Clin Oncol. 2010;28(1):92-8.
13. Piccart-Gebhart M, et al. N Engl J Med.
2005;353(16):1659-72.
14. Goldhirsch A, et al. Lancet. 2013;382(9897):1021-8.
15. Geyer C, et al. N Engl J Med. 2006;355(26):2733-43.
16. Badache A, et al. Cancer Cell. 2004;5(4):299-301.
17. Baselga J, et al. N Engl J Med. 2012;366(2):109-19.
18. Verma S, et al. N Engl J Med. 2012;367(19):1783-91.
JS0785F
25 ANS D'ONCOLOGIE MÉDICALE À L'UCL
Cancer du sein:
from one-size-fits-all to
personnalized therapy
Le cancer du sein est le plus fréquent des cancers chez la femme au
niveau mondial, dans les pays d'Europe occidentale et d'Amérique
du Nord ainsi qu'au Japon (1). L'incidence de ce cancer varie
fortement selon les régions du monde, avec un rapport de 1 à 5
entre les pays industrialisés à forte incidence et les pays en voie de
développement à faible incidence. Dans la plupart des populations
occidentales, l'incidence augmente fortement avec l'âge jusqu'à la
survenue de la ménopause, qui est alors suivie d'une augmentation
de moindre pente. Eurocare 4, menée par les registres de cancers
européens, a estimé le taux de survie relative à 5 ans du cancer du
sein à 81% en moyenne en Europe sur la période 1995-1999 (2),
moins bon qu'aux Etats-Unis où il a été estimé à 90,1% à 5 ans en
2000-2002 (3). Mais ce taux va en s'améliorant, grâce notamment
aux évolutions thérapeutiques apparues ces 25 dernières années.
Le point en 4 chapitres avec François Duhoux (UCL).
VOTRE ACTUALITÉ MÉDICO-SCIENTIFIQUE