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I
Le Spécialiste
13-16
9 octobre 2013
www.lespecialiste.be
R
etracer l'évolution entre 1973 et
2013 est une chose, prédire l'avenir
en est une autre. Où en serons-nous
en 2050? Il s'agit là d'une question difficile,
mais le professeur Yvo Nuyens entrevoit
tout de même quelques tendances.
La révolution technologique, en particulier
dans le domaine des TIC, bat assurément
son plein. Nuyens pense que cela pourra
améliorer sensiblement la qualité et l'effi-
cacité des soins de santé. «Les TIC peuvent
considérablement venir en renfort du "col-
loque singulier" et fortement diminuer la
charge administrative des prestataires de
soins. Il convient toutefois de se demander
si l'échelonnement n'est pas dépassé par
les possibilités qu'offrent les TIC. N'évo-
luons-nous pas vers un dossier médical
personnalisé qui suit le patient?»
Augmentation et réduction
d'échelle
Après le mouvement de fusions qu'a
connu le monde hospitalier au cours des
dernières décennies, le professeur Nuyens
prévoit une évolution vers de plus petites
entités. «Les plus petits centres, y compris
les maisons de repos et de soins, dispense-
ront la majorité des soins hospitaliers. Tou-
tefois, un nombre limité de grands hôpi-
taux se consacreront aux soins de premier
plan.»

«Small is beautiful». En même temps,
le sociologue médical prévoit aussi une
augmentation d'échelle. «Le nombre de
pathologies chroniques est en augmenta-
tion. La viabilité des cabinets individuels
en termes de coûts, d'efficacité et de qua-
lité des soins s'en trouve menacée. Généra-
listes, spécialistes, psychologues et autres
professionnels des soins devront, par la
force des choses, travailler main dans la
main. Il en résulte une collaboration entre
les professions spécialisées dans les soins.»
Selon Nuyens, l'élargissement s'explique
aussi par la mondialisation et l'impact
de l'Europe. «Qu'un patient se rende en
Finlande pour une opération de l'oreille
ou en Espagne pour une autre intervention
devient courant. Par ailleurs, l'Union euro-
péenne fera progressivement disparaître
la politique de santé nationale. Le mouve-
ment est amorcé: de plus en plus, l'Europe
esquisse les grandes lignes concernant
le financement, l'offre et la demande de
soins, etc.»
Autorités démissionnaires
A un niveau plus large que les soins de
santé proprement dits, Yvo Nuyens
constate le recul de l'Etat providence
classique. Les pouvoirs publics prévoyant
des soins accessibles à tous s'estompent
progressivement au profit d'une socié-
té dans laquelle chaque individu doit
prendre lui-même en charge ses soins.
«Aux Pays-Bas, cette tendance est déjà
bien amorcée. La société et les autorités
peuvent de moins en moins être sollici-
tées. Le citoyen, le patient, l'assuré social,
le fils d'une personne âgée... tous devront
assumer plus de responsabilités. Ce qui
pose d'emblée la question de la portée de
la solidarité.»
Bref, les soins de santé en
l'an 2050 font apparaître de nombreux
nouveaux équilibres. Entre petit et grand,
entre Europe et ruralité.
G.V.
E
n 1973, l'ancien directeur des
programmes auprès de l'OMS, le
professeur émérite Yvo Nuyens
(KU Leuven et Universiteit Antwerpen),
et l'ancien journaliste auprès de De
Standaard
, Hugo De Ridder, ont publié
ensemble «Zeg maar A tegen je dokter»
dans lequel ils adoptaient un regard
critique sur le système de soins de santé
belge de l'époque.
Quatre décennies plus tard, les deux
auteurs sont de retour. Dans leur nouvel
ouvrage «Dokter ik heb ook iets te zeggen»,
ils dressent un bilan de notre système
de soins de santé actuel. Jo De Cock,
administrateur général de l'Inami, y signe
une préface très intéressante et neuf duos
de premier plan analysent chaque fois
un domaine des soins de santé. Le livre
se referme sur une «lettre à l'attention
des décideurs politiques» co-signée par
Yvo Nuyens, Hugo De Ridder et le célèbre
économiste de la santé Lieven Annemans
(UGent et VUB).
Sept points d'action
La lettre recense 13 points d'attention
prioritaires pour la politique. Dans le
prolongement du livre et en préambule
aux élections de l'an prochain, les auteurs
ont décidé de concrétiser ces 13 thèmes en
sept points charnière. «Plus précisément,
il s'agit des points suivants: organisation/
financement des soins de santé, politique
HR et main-d'oeuvre, participation des
patients, soins de santé mentale, choix
des soins, prévention et fracture sanitaire
sociale. Nous souhaitons nous atteler à
ces sept points à court terme»
, explique le
Professeur Nuyens.
L'objectif est que les binômes d'auteurs
se réunissent de nouveau et développent
la problématique ainsi que des actions
concrètes sur deux pages A4. «C'est la
raison pour laquelle nous nous réunissons
de nouveau»
, ajoute le professeur.
«Vers janvier 2014, nous élargirons le
projet et intégrerons quelques parties
prenantes telles que la Croix jaune et
blanche, l'Absym, etc. Sept tables pour
sept affirmations échangeront des idées
autour de ces thèmes. Nous espérons que
cela débouchera sur des hypothèses bien
étayées que nous pourrons soumettre
à l'opinion publique et aux hommes
politiques juste avant les élections de
juin 2014. Voilà le mouvement qui anime
le livre.»
Parvenir à un consensus sur quelques
objectifs de santé est essentiel, estime le
professeur Nuyens. C'est justement ce qui
fait défaut au récent programme en six
points de la ministre Onkelinx.
Réforme de l'état
A priori, il semble essentiel que toutes les
compétences, comme la prévention et la
médecine curative, se situent au même
niveau politique, ce qui n'est actuellement
pas le cas. Yvo Nuyens: «Le ministre
Vandeurzen souhaite par exemple étendre
l'expérience aux psychologues de première
ligne, un avis partagé par le célèbre
psychiatre Dirk De Wachter. Il est d'ailleurs
partisan de la poursuite du développement
et de l'intégration dans les soins de santé
mentale. Toutefois, le problème est que
l'accréditation et le remboursement des
psychologues est une matière fédérale.»
Pour Nuyens, la sixième réforme de
l'Etat offre des possibilités, mais a aussi
ses limites. Une nouvelle réforme de
l'Etat est-elle dès lors nécessaire? Dans
l'ouvrage, le directeur général Ri De Ridder
n'y tient absolument pas. Il plaide pour un
moratoire de deux à trois ans.
Geert Verrijken
JS0805F
Quand le livre devient mouvement
«Tout n'est pas tout noir. En 40 ans, certaines choses ont évolué
positivement: la loi sur les droits des patients par exemple. Cela
dit, tout va tellement lentement. Nous avons peut-être besoin
d'un despote éclairé visionnaire pour remanier en profondeur les
soins de santé.»
VOTRE ACTUALITÉ SOCIO-PROFESSIONNELLE
JS0805BF
Entre Europe et ruralité
«Où en serons-nous en 2050? Les technologies de l'information
et de la communication (TIC) vont considérablement améliorer
l'efficacité et la qualité des soins. D'un côté, nous nous dirigeons
vers une augmentation d'échelle mais d'un autre côté, vers
une réduction d'échelle. Il convient aussi de noter que l'Etat
providence classique est en recul et que la politique de santé
"nationale" va disparaître progressivement.»
Parvenir à un consensus
sur quelques objectifs
de santé est essentiel,
estime le professeur
Nuyens.
Le nombre de
pathologies chroniques
est en augmentation.
La viabilité des cabinets
individuels en termes
de coûts, d'efficacité et
de qualité des soins s'en
trouve menacée.
Pr Yvo Nuyens