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Le Spécialiste
13-14
11 septembre 2013
www.lespecialiste.be
E
n Belgique, deux docu-fictions ­
«Dr Rafto» et «Une deuxième chance
pour une vie» ­ diffusés sur RTL TVI
ont renouvelé l'approche télévisuelle du
monde hospitalier en suivant de près, pour
le premier, le travail d'un neurochirurgien
des Cliniques Universitaires Saint-Luc, et
pour le second, le fonctionnement de 4
services hospitaliers de l'Hôpital Erasme.
Comme l'a rappelé Florence Hut, méde-
cin chef du CHU Brugmann, la série «Dr
Rafto» a été un véritable succès public:
près de 500.000 téléspectateurs lors de la
diffusion du 2
e
épisode sur RTL en 2011
(34% de l'audience), et 1,5 million de
téléspectateurs lors du passage du docu-
fiction sur TF1. Cet enthousiasme n'a pas
été, à l'époque, partagé par l'ensemble du
corps médical. L'Ordre des médecins et
les rédactions des journaux médicaux ont
reçu des plaintes et des courriers dénon-
çant l'hypermédiatisation du médecin et
de l'hôpital concerné. «La forte personna-
lisation du Dr Christian Raftopoulos a été
particulièrement critiquée. Il l'a été éga-
lement particulièrement par des confrères
et des soignants qui ne se retrouvaient pas
dans le mode d'interaction professionnelle
entre le médecin et le patient présenté
dans le film»
, rappelle le Dr Hut.
«L'origine de la tempête qui a entouré la
diffusion de "Dr Rafto" est vraisemblable-
ment que nous avons utilisé les codes de
la fiction pour mettre en avant le travail
des soignants. Dans ce reportage, nous
n'avons en rien modifié les histoires des
patients. Ils ont été très heureux de parti-
ciper à cette série. La bande-annonce qui
a accompagné la diffusion de cette série
a participé aussi à cette confusion. Elle
ne reflète pas ce que le téléspectateur a
pu voir dans les 4 épisodes»
, commente
Sophie De Brabandere, journaliste de
RTL qui a participé aux deux docu-
fictions réalisés par Georges Huercano.
Elle souligne que toutes les personnes
filmées ont pu voir le film avant sa diffu-
sion et demander, le cas échéant, d'être
«floutées». Pour le film «Une deuxième
chance pour la vie», consacré à la greffe
d'organe, les négociations entre l'équipe
du docu-fiction et l'Hôpital Erasme
ont duré deux ans. En tenant compte
des critiques formulées sur le premier
film, l'équipe de production a modifié
le concept. La personnalisation a été
réduite. Ce docu-fiction s'intéresse à un
nombre plus élevé de «personnages»
principaux et de services médicaux. Du
coup, l'audience a été nettement moins
bonne ­ un quart de celle de «Dr Rafto»
­ et RTL a décidé de ne pas renouveler
l'expérience pour l'instant.
Le monde a les héros qu'il
mérite
«Pour moi, ces docu-fictions sont de
bonnes nouvelles»
, estime le Pr Didier De
Cannière (CHU Saint-Pierre). «Je ne les ai
pas vus à l'époque, parce que je travaillais
aux Etats-Unis, mais j'aimerais savoir ce
qui a provoqué ce scandale. Le monde a les
héros qu'il mérite. Sans être démagogue,
je préfère que ce soit le Pr Raftopoulos que
Nabilla... La lumière que Christian Rafto-
poulos, qui est un brillant neurochirurgien,
a reçue par ce coup de projecteur est bonne
pour l'ensemble de la communauté médi-
cale.»
Lors de son séjour professionnel
aux Etats-Unis, le Pr De Cannière a été
confronté aux méthodes marketing du
secteur médical. Un pays où on n'hésite
pas à placarder les photos des médecins
sur des panneaux publicitaires géants afin
de «vendre» l'institution aux patients
potentiels.
Le diable est dans les détails
Tim Pauwels, responsable de l'éthique
à la VRT, estime qu'il est important que
l'équipe de réalisation d'un docu-fiction
et les responsables de l'hôpital discutent
longuement des attentes des uns et des
autres et examinent le projet jusque dans
les moindres détails. «Il est très important
de pouvoir dialoguer. A la VRT, nous avons
déjà produit et collaboré à de nombreuses
séries non-fictionnelles sur la santé.
Lorsque nous le faisons, nous concluons un
véritable accord avec l'hôpital sur la forme
et le fond du reportage. Nous étudions
également des aspects pratiques: le droit
à l'image des patients, des membres de la
famille, la possibilité pour un patient qui
est un "personnage" d'arrêter de participer
à ce "soap", même au dernier moment... Il
faut discuter de tout cela clairement. Cette
approche augmentera la qualité du film.
Il ne faut pas dire, par définition, non à un
genre télévisuel, mais il faut poser des exi-
gences dans le cadre d'un dialogue. Si vous
ne voulez pas en tant que médecin ou hôpi-
tal y participer, il ne faut pas le faire.»

Les journalistes médicaux participant au
débat ont souligné l'importance des docu-
fictions pour mettre en valeur auprès de
l'opinion publique le travail des hôpitaux
et soignants, humaniser ces institutions,
faire naître des vocations chez les jeunes
téléspectateurs et recruter du personnel
dans un secteur qui connaît des situations
de pénurie pour plusieurs de ses métiers
(infirmières, médecins de certains spé-
cialités, cadres supérieurs spécialisés...).
A choisir, il vaut mieux que «le temps de
cerveau disponible» (1) arraché aux télé-
spectateurs serve à quelque chose.
Vincent Claes
1. Un concept cher à Patrick Le Lay, ancien PDG de
TF1.
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Qui sera la prochaine vedette?
Les docu-fictions médicaux étaient au programme du récent
congrès de l'Association belge des hôpitaux. Faut-il partici-
per, en tant que médecin ou hôpital, à ce genre télévisé? Ce
type de reportage scénarisé est-il une forme de publicité
déguisée? Qu'en pense l'Ordre des médecins? Comment
négocier sa participation? Autant de questions qui ont été au
centre d'un débat convivial, animé par le Dr Florence Hut.
Une arme à double tranchant
En 20 ans, l'Ordre des médecins a émis trois avis au sujet de la participation
des médecins à des programmes d'information ou à des articles de presse.
«Cette participation pose évidemment le problème de la "publicité"», sou-
ligne le Pr Jacques Noterman (Ordre des médecins). «Le Conseil national de
l'Ordre des médecins définit la "publicité" comme ce qui relève du domaine
public: ce que le médecin fait, ses heures de consultation... C'est une notion
très différente de celle de la "réclame". Ce n'est pas du tout comparable.
La limite entre la "publicité" et la "réclame" est presque impossible à définir
de manière précise. Cette frontière est subjective. C'est un point important
lorsqu'on analyse les rapports entre les médecins et les médias. Il est difficile
d'arriver à un consensus complet entre les différents interlocuteurs ­ même
entre les médecins ­ à ce sujet.»
L'ancien neurochirurgien remarque que l'accès des médecins aux médias
diffère fortement en fonction de la spécialité exercée (médecine générale,
cardiologie...) et du lieu d'exercice (hôpital de référence, hôpital périphé-
rique...) «Certains médecins spécialistes exerçant en cabinet privé voient dans
certaines émissions la promotion déloyale des institutions de soins. Comme ils
n'ont pas accès à cette "réclame", ces programmes les dérangent. Ils en font
part au Conseils provinciaux de l'Ordre des médecins ou au Conseil national.
Nous essayons dans la mesure du possible de garder l'église au milieu du
village. Dans le cas de l'émission "Dr Rafto", le titre de l'émission ­ qui ressem-
blait un peu trop à celui d'un célèbre médecin-héros d'une série télévisée
diffusée pratiquement au même moment ­ a choqué de nombreuses personnes.
C'est la forme et non le contenu qui a dérangé la plupart des médecins ayant
formulé des remarques.»
Pour le Pr Noterman, ce genre de programme télévisé soulève le problème
du vedettariat. «Il s'agit d'une arme à double tranchant. Vous pouvez en
profiter un temps, généralement très court. Beaucoup de patients vont vous
contacter pour prendre rendez-vous. Vous allez les recevoir et vous devrez dire
aux 3/4 des patients qui vous ont contacté suite à l'émission qu'ils doivent se
rendre chez un confrère. Ils seront déçus...»
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Il ne faut pas dire, par définition, non à un genre télévisuel.