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I
Le Spécialiste
13-14
11 septembre 2013
www.lespecialiste.be
A
près avoir annoncé une série de
mesures d'économies dans le secteur
des soins de santé, Laurette Onke-
linx a mandaté, fin mars, la multipartite
et le Centre d'expertise des soins de santé
pour préparer pour le 1
er
octobre une feuille
de route en vue de l'introduction du finan-
cement all-in. Est-ce une véritable volonté
politique ou seulement une piste «structu-
relle» à explorer? L'avenir nous le dira. Un
chose est certaine: il ne reste pas beaucoup
de temps avant «la mère des élections», en
mai 2014, pour mettre en chantier un nou-
veau système de financement hospitalier.
«Le KCE s'est déjà penché sur la faisabi-
lité de l'introduction en Belgique d'un
système de financement hospitalier
all-in
par pathologie (étude N°121B)
», rappelle
le Dr Demeere. «Les experts soulignaient
que la mise sur pied d'un tel financement
serait complexe mais possible et deman-
derait des années. Il y a eu aussi la fameuse
étude (N°178B) sur la tarification des
interventions hospitalières basées sur les
coûts, qui comparait, entre autres, les
revenus des médecins. Cette étude décri-
vait une méthodologie et non des chiffres
en valeurs absolues.»
Les écoles de santé
publique réfléchissent également depuis
des années au financement forfaitaire par
pathologie (lire à ce sujet dans Le Spécia-
liste
13-9 l'interview du Pr Magali Pirson
- Ecole de santé publique de l'ULB).
«Dans son dernier rapport (1), l'OCDE
considère que le système belge des soins
de santé souffre de deux handicaps: les
négociations tarifaires en médico-mut et
la réglementation excessive des hôpitaux
»,
explique Jean-Luc Demeere. «Il recom-
mande une plus grande flexibilité. Selon
cette étude, le financement actuel des soins
de santé est, à courte échéance, impayable.
Il faut dès lors changer le système ou réaliser
des économies. Nous ne sommes plus dans
une période de croissance ­ avec une norme
de croissance officielle de 4,5% ­ mais dans
une période de restriction. Les médecins en
sont conscients. L'OCDE propose plusieurs
pistes pour atteindre l'équilibre budgétaire:
la capitation pour la médecine générale et
le financement forfaitaire par pathologie
(DRG ou APR-DRG).»
Dans les deux cas,
il s'agit d'une véritable révolution culturelle.
Plusieurs modèles
Le président du GBS souligne qu'il existe
plusieurs systèmes de financement all-in.
«Pour les médecins, on peut distinguer deux
scénarios différents. Le premier dans lequel
on conserve le financement avec les hono-
raires. Le deuxième sans le financement avec
les honoraires. Dans ce cas, il y a deux hypo-
thèses différentes. La forfaitarisation de la
partie A du budget des moyens financiers
(BMF) et/ou une forfaitarisation opération-
nelle visant les parties B et C du BMF. Dans un
système
all-in où l'on conserverait le finance-
ment avec les honoraires, le forfait couvrirait
la partie opérationnelle et la partie médicale.
Actuellement, dans l'opérationnel, 40,9% du
budget de l'hôpital provient des honoraires
médicaux. Le danger de ce système est que
le gestionnaire autorise à l'avenir plusieurs
spécialités à obtenir un pourcentage spéci-
fique (par exemple 15% ou 20%) de la masse
des honoraires. Ce scénario provoquerait
une véritable guerre au sein des hôpitaux,
entre les différentes spécialités, et entre les
hôpitaux eux-mêmes parce qu'ils voudront
attirer les médecins les plus `productifs'. On
entrerait dans une véritable économie de
marché, très libérale. Un autre système peut
être d'offrir un revenu garanti aux médecins,
en fonction du nombre de patients vus ou via
un
fee-for-service. Dans le cas du fee-for-
service, les médecins ne devraient logique-
ment plus participer aux investissements de
l'hôpital. On parle d'honoraires purs liés à
l'activité médicale.»

Jean-Luc Demeere ajoute qu'en fonc-
tion du modèle de all-in qui sera choisi,
il faudra revoir la nomenclature des soins
de santé. Un fameux chantier puisqu'elle
date de 1963.
Une économie limitée
Le président du GBS rappelle que, selon
la littérature internationale, les écono-
mies que peut générer le financement
forfaitaire all-in sont de l'ordre de 1,9%
la première année et de 3% ensuite. «A
partir du moment où les médecins soignent
correctement les patients, il n'est pas pos-
sible de réduire de façon exponentielle
le nombre d'examens»
, analyse l'anesthé-
siste bruxellois. Et d'ajouter que l'augmen-
tation future du nombre de pathologies
­ de 20 à 56 ­ reprises dans le système
du montant de référence va déjà avoir un
effet sur la surconsommation des actes.
«Il s'agit déjà d'un incitant pour réduire la
consommation médicale. Un autre levier
pour diminuer les coûts est la réduction
des forfaits. Cela a déjà été le cas pour les
montants forfaitaires de la pharmacie, qui
selon Marc Moens (Absym), ont diminué
entre 2006 et 2013 de 30%. Je m'interroge
dès lors sur la hauteur des économies que
les autorités vont réaliser grâce au
all-in
Sélection des patients
Pour Jean-Luc Demeere, un inconvénient
majeur du système all-in est le passage
dans le secteur hospitalier d'une culture
de coûts, mesurables, à une culture de
bénéfices. «Actuellement, les médecins
produisent des examens et sont rémuné-
rés en fonction des tarifs et des accords...
Demain, cela sera l'inverse. Les hôpitaux
devront, dans le cadre d'un budget prédé-
fini, réaliser des bénéfices. Ils devront donc
réduire les coûts par patients, sélectionner
les patients et être plus efficients. Ce mou-
vement se traduira par une réduction des
durées de séjour, du nombre d'examens...
Pour sélectionner les patients, les hôpitaux
vont privilégier les APR-DRG favorables
et écarter ceux qui sont défavorables. Les
hôpitaux généraux vont se spécialiser dans
les pathologies rentables. Pour être plus
efficients, les hôpitaux vont vouloir sélec-
tionner les traitements et les moyens dia-
gnostiques. Or, selon la Loi sur les hôpitaux,
le gestionnaire ne peut pas intervenir dans
les décisions thérapeutiques et diagnos-
tiques du médecin. Dans une culture de
bénéfices, le gestionnaire va s'en mêler. La
liberté thérapeutique du médecin va donc
être soumise à des impératifs financiers et
économiques.»
Compte tenu de tous ces éléments,
Jean-Luc Demeere se demande comment
certains peuvent défendre de façon très
positive dans la presse générale le concept
du all-in. «Ne faudrait-il pas dire au grand
public que ce nouveau système de finan-
cement va créer dans les soins de santé
une culture du bénéfice, qui se traduira par
une sélection des patients et des moyens
thérapeutiques? Ne risque-t-on pas aussi
de réduire l'accessibilité aux soins, une des
caractéristiques postives de notre système
de santé, reconnue de façon internatio-
nale?»
Vincent Claes
1. Etude économique de la Belgique en 2013.
2. Lire également à ce sujet Le Médecin Spécialiste
N°5 de juillet 2013.
JS0749F
Forfaitarisation all-in:
«Vers une culture du bénéfice»
Fin mars 2013, après le conclave budgétaire, la ministre Onkelinx
a demandé de pouvoir disposer d'une feuille de route sur le
financement all-in pour le 1
er
octobre. Cette requête n'est pas
passée inaperçue. Certains ont applaudi la démarche, d'autres
ont préparé leurs boucliers. Le Groupement belge des spécialistes
(GBS) a créé un «think tank» consacrée à la forfaitarisation du
financement hospitalier. Ce groupe de travail n'a pas encore
achevé ses travaux mais Jean-Luc Demeere, président du GBS,
livre au Spécialiste
ses réflexions sur le financement all-in.
VOTRE ACTUALITÉ SOCIO-PROFESSIONNELLE
Jean-Luc Demeere: «Dans
un système
all-in avec les
honoraires des médecins,
un pouvoir illimité est
donné aux gestionnaires
des hôpitaux. On limite la
liberté thérapeutique pour
une logique économique.
Dans un système sans les
honoraires, les gestionnaires
doivent tenir compte des
médecins et évoluer vers
un système de cogestion
qui est, à mon sens, la
meilleure des solutions.
Les médecins gardent un
revenu garanti (honoraires
purs). La question reste,
faut-il changer le système
puisque les APR-DRG
déterminent actuellement
le BMF et que les montants
de référence limitent la
surconsommation?»