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l
Neurone
·
Vol 18
·
N°1
·
2013
toire chronique, schizophrénie... dont
les sens varient quelque peu selon les
auteurs et les traditions.
Les problèmes liés à l'approche
extérieure
Certains traits diagnostiques voient leur
objectivité se teinter d'une nuance de
jugement: on parle par exemple de bi-
zarrerie
, sans trop s'embarrasser du fait
que ce trait est autant relatif à l'observa-
teur qu'à l'observé: ce qui est bizarre
pour moi ne l'est peut-être pas pour un
autre, même si cette observation de bi-
zarrerie, par ailleurs très présente dans la
perception populaire de la psychose,
postule de toute évidence une sorte de
sens commun dont le psychotique
semble exclu.
Approche exclusivement extérieure
donc, à laquelle n'échappent pas les
classifications plus récentes du DSM IV
­ outil, on le sait, statistique avant tout et
non dénué d'idéologie. Ici, on fait table
rase des anciennes catégories, on veut
s'appuyer sur du plus objectif, du plus
quantifiable: deux critères sur cinq éta-
blissent le diagnostic, la durée de la dé-
compensation est déterminante: moins
d'un mois pour des troubles psycho-
tiques brefs
, moins de six mois pour des
troubles schizophréniformes, terme au-
delà duquel on pourra s'autoriser à évo-
quer une schizophrénie.
Certes, dès l'instant où nous quittons le
domaine des sciences exactes, dès l'ins-
tant où nous sommes confrontés à l'hu-
main, sa profondeur, sa complexité,
toute catégorisation devient forcément
approximative et réductrice. Mais ici,
plus encore que dans d'autres domaines
de la psychiatrie, nous nous trouvons
d'autant plus embarrassés par la vanité
de nos classifications que nous sommes
repoussés à l'extérieur de l'univers du
patient et de ce socle symbolique au-
dessus duquel il construit vaille que
vaille son équilibre précaire avec le réel
et le monde.
Aspect individualisé des
personnes psychotiques
Cette construction est une création à
chaque fois singulière, propre à chaque
personne psychotique, si bien que l'on
peut dire, et toute la clinique le confirme,
qu'il y a autant de types de psychose que
de personnes psychotiques. La distinction
la plus opérante établit d'un côté les psy-
choses d'un épisode, plus ou moins rapi-
dement recouvert, voire «cicatrisé», et le
groupe des schizophrénies (dans l'accep-
tion française) où le sujet doit en perma-
nence réajuster son équilibre avec le
monde. Mais les psychoses schizophré-
niques évoluent aussi par épisodes de dé-
compensation, et certaines psychoses épi-
sodiques ouvrent chez certains une faille
qui n'est comblée qu'en apparence. C'est
dire que rien n'est simple. Et que même
pour une catégorisation aussi sommaire,
tous les cas de figure se présentent. Chaque
sujet psychotique est livré avec plus ou
moins d'intensité aux forces dissociatives,
aux phénomènes hallucinatoires, il réagit
par des évitements, des mécanismes
d'adaptation, des trouvailles personnelles,
des constructions délirantes, plus ou moins
extravagantes, plus ou moins structurées,
et c'est à chaque fois une histoire, une
symptomatologie unique, exigeant une
clinique au cas par cas, une clinique de
l'accompagnement et de l'écoute, renou-
velée pour chaque patient.
La défaillance du symbolique
Pour inviter à cette clinique, sans doute
faut-il d'abord tenter de comprendre ce
qu'on entend par défaillance du symbo-
lique, ou difficulté de l'accès au symbo-
lique ou trouble de la séparation symbo-
lique chez la personne psychotique.
Dès notre premier âge, nous nous inté-
grons au monde, au réel, grâce à une
forme d'enveloppe de protection symbo-
lique qui nous le rend intelligible et un
tant soit peu accueillant. Je vais ici
prendre un exemple tiré de mon expé-
rience personnelle. Il est probablement
trop simple, mais constitue une analogie
pour aider à la compréhension. J'ai
connu quelqu'un qui à l'âge de 8 ans est
devenu brusquement aveugle à la suite
d'un jeu avec de la poudre, un pétard
qui lui avait explosé à la figure. Beau-
coup plus tard, vers l'âge de 20 ans, il a
pu être opéré, mais d'un seul oeil: voilà
tout à coup qu'il revoyait à nouveau,
mais comme au travers d'un étroit tun-
nel. Les jours où il a recommencé à voir,
me racontait-il, furent des jours d'abso-
lue terreur, de folie au sens propre. Il
voyait des masses, des silhouettes, des
formes de couleur, de lumière, d'ombre,
qui fonçaient sur lui sans qu'il soit
d'abord capable de distinguer de quoi il
s'agissait, ni d'en percevoir le degré de
dangerosité. Marcher sur le trottoir, était,
me disait-il, proprement hallucinant. Peu
à peu et de jour en jour il a pu heureuse-
ment commencer à re-conceptualiser
cet univers en mouvement, ré-installer
des évidences symboliques: là non pas
telle masse bleue traversée de lignes
noires mais telle fenêtre à croisée don-
nant sur le ciel, là tel arbre, tel jardin,
telle table, telle chaise, tel visage... Se-
lon l'acquis symbolique qui était le sien
auparavant et venait de se trouver brus-
quement mis à l'épreuve par le retour
brutal, quasi effractif, du réel visuel. On
voit par cet exemple simple combien
notre insertion dans le monde se
construit grâce à un ordre symbolique
qui nous protège de la violence du réel
et nous permet d'y trouver bon an mal
an une place, une inscription apaisée.
Il y a autant de types de
psychose que de personnes
psychotiques.