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Neurone
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Vol 18
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N°1
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2013
N1882F
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psychosEs
...
La psychiatrie classique s'est cantonnée depuis ses origines à une vision
résolument extérieure de la psychose. Description de prodromes, de symptômes,
de tableaux cliniques: le psychiatre regarde plus qu'il n'écoute, il repère et
classifie. François Tirtiaux souhaite avoir un autre regard et parler des personnes
psychotiques, de l'intérieur, ce qui n'est pas facile. Il s'attache à mettre en
évidence la défaillance de la couverture de protection symbolique, la sur-
stimulation du réel et la sur-symbolisation par le langage qui sont à approcher de
manière individuelle, chaque personne psychotique posant un cas singulier.
Introduction
Parler de la psychose de l'intérieur n'est pas facile. Tout simplement parce que
la personne psychotique se situe dans un rapport au réel et au monde qui n'est
assurément pas le nôtre. Pour nous, habitants de la planète humaine, le rapport
au réel et au monde passe nécessairement par le filtre du symbolique. Chez la
personne psychotique, l'accès à cet ordre symbolique est problématique. Dès
lors il nous est difficile de nous identifier à lui par saisies partielles comme
nous le faisons avec d'autres. Ce n'est pas tant qu'il parle une autre langue, sa
langue, c'est que le socle sur lequel la langue est chez lui installée présente des
failles telles que nous ne sommes assurément pas sur le même terrain. Et donc
parler de la psychose, de l'expérience psychotique de l'intérieur relèvera
toujours d'une forme de gageure.
La psychiatrie classique s'est cantonnée depuis ses origines à une vision
résolument extérieure de la psychose. Description de prodromes, de
symptômes, de tableaux cliniques, éléments de diagnostic différentiel, aspects
évolutifs: le psychiatre ici regarde plus qu'il n'écoute, il repère, isole, distingue,
désigne et classifie.
·
Symptômes liés à l'hyperstimulation et phénomènes sensoriels:
hallucinations auditives, visuelles, olfactives...
·
Symptômes liés à la dissociation, la discordance: ruptures de sens,
phénomènes de barrage, coqs à l'âne, digressions, dissociation affective...
·
Symptômes traduisant un mésusage de la langue: néologismes, maniérisme,
symbolisme, rationalisme morbide, abstractionnisme...
·
Symptômes dits négatifs, appauvrissement, apragmatisme...
·
Symptômes relatifs au retrait social, à la difficulté d'adaptation...
·
Symptômes délirants, (délire mégalomaniaque, délire paranoïde...)
Selon l'importance de telle ou telle composante, ces symptômes forment des
ensembles symptomatiques: paraphrénie, hébéphrénie, psychose hallucina-
François Tirtiaux
Psychiatre, psychothérapeute; Médecin
directeur au Club Antonin Artaud, Bruxelles
«Dans cette surprenante soustrac-
tion, faite de beaucoup de petites
soustractions, il est seul. Seul
comme il n'a jamais été. Comme
personne (pense-t-il) n'a jamais été.
En effet, c'est particulier comme il
est seul. Seul sans solitude. Il n'est
plus préservé par le «nous», l'entre-
nous de l'homme et de son corps.
Lui, il est vraiment seul. En exil, sur
place. Dans une solitude dont le
solitaire n'a pas idée. La solitude de
cette banlieue ne se compare à rien,
est une injustice, un scandale. A
côté d'elle la solitude d'un méditatif
est un palais. Celle d'un gueux
même est un nid, pouilleux, mais
nid quand même. Ici, pas de nid.
Solitude sans jouir d'être seul.»
Henri Michaux, Connaissance
par les gouffres (Gallimard, 1967)