background image
6
I
Le Spécialiste
13-11
19 juin 2013
www.lespecialiste.be
D
ans cet article, nous nous limiterons à l'impact
du système des soins sur les inégalités liées à la
santé. «It is more important to know what sort of
patient has a disease than to know what sort of disease a
patient has»
. En empruntant cette citation à Sir William
Osler, le Pr De Spiegelaere a tenu à rappeler que notre sys-
tème de soins est davantage orienté sur la «maladie» que
sur la «personne». «Les inégalités de santé s'accroissent
par la non prise en compte de la coexistence de plusieurs
problèmes de santé: augmentation des risques de manque
de coordination, effets secondaires et incompatibilité des
traitements, multiplication des examens, hospitalisations,
coûts liés au saucissonnage de la prise en charge, durée
de consultations trop courtes, exclusion des questions
non urgentes (prévention, éducation thérapeutique)...»
,
explique la chercheuse.
Un autre facteur pouvant influencer à la hausse les inéga-
lités de santé est le fait que certaines recommandations
de pratiques ne tiennent pas compte du contexte global
du patient. Et de citer en exemple, la sous-estimation
dans l'évaluation des risques cardiovasculaires des risques
réels de la population moins favorisée, bien démontrés
dans la littérature scientifique (stress, conditions de
travail, environnement, charge mentale...).
«Les inégalités sociales s'accroissent par la non-prise en
compte des conditions sociales qui peuvent moduler l'effi-
cacité des interventions. Par exemple, certains profession-
nels de la santé anticipent les réactions des patients et pré-
fèrent leur donner des médicaments plutôt que de propo-
ser des mesures préventives. Par ailleurs, certains patients
ont plus confiance dans un traitement médicamenteux
parce qu'ils craignent de ne pas savoir agir sur les autres
facteurs. Ces deux mouvements se renforcent. D'où l'inté-
rêt de l'accompagnement thérapeutique, avec un accom-
pagnement psychosocial pour les maladies chroniques»
,
souligne Myriam De Spiegelaere. Cette approche demande
évidemment plus de temps et un investissement impor-
tant. «Seule une approche de la morbidité centrée sur la
personne peut décrire avec précision l'impact plus impor-
tant de la maladie chez les personnes socialement plus
défavorisées et la nature des interventions requises pour
traiter efficacement la plus grande vulnérabilité et les inter-
actions entre les maladies»
, ajoute le Pr De Spiegelaere.
L'importance du réseau
Comment favoriser l'émergence de cette prise en charge
centrée sur le patient? La chercheuse souligne le rôle
essentiel de la médecine générale ­ capable de gérer
la morbidité complexe et multiple ­ et la nécessité de
développer un travail en réseau avec le secteur hospi-
talier (échelonnement, continuité). Les approches mul-
tidisciplinaires centrées sur le patient sont également
recommandées.
On pourrait objecter que cela fait des années que l'on
entend parler dans de nombreux colloques de l'approche
globale et multidisciplinaire du patient mais que l'orga-
nisation de l'hôpital reste foncièrement centrée et orga-
nisée sur la prise en charge d'une maladie, d'un organe...
«Les services de gériatrie, qui sont confrontés déjà depuis
des années à la complexité, fonctionnent déjà dans
l'optique de prise en charge globale du patient. Cela peut
également être appliqué dans les services de pédiatrie.
Cette approche est plus difficile dans les services très
spécialisés, en cardiologie, pneumologie...»
, répond le
Pr De Spiegelaere. Elle estime que l'approche globale
pourrait être adoptée plus largement et que les difficultés
financières que connaît notre système de soins de
santé vont obliger les autorités et les acteurs de santé à
repenser le modèle hospitalier actuel.
La continuité mise à mal
Pour le Pr De Spiegelaere, la cohérence du système de
soins est un enjeu important dans la lutte contre les iné-
galités. «La continuité des soins est de plus en plus difficile
dans notre système de santé. Le libre choix du prestataire
et la continuité ont un lien important. Les Belges tiennent
beaucoup à ce libre choix parce qu'il permet d'instau-
rer une relation de confiance entre patient et prestataire.
On se rend néanmoins compte que ce libre choix est de plus
en plus à géométrie variable. Par exemple, en fonction de
ce que propose un CPAS, un patient peut avoir un choix très
large ou un choix très restreint. Le libre choix du prestataire
dans les soins spécialisés devient difficile: soit le patient
peut payer une consultation privée et il aura rapidement
un rendez-vous; soit il ne peut pas et il attendra un rendez-
vous dans les mois qui viennent; soit si le patient ne veut pas
attendre durant des mois pour, par exemple, une consulta-
tion en opthalmologie, il se rendra aux urgences ou se ren-
dra à une consultation dans un hôpital et aura chaque fois
un autre médecin.»

Myriam De Spiegelaere estime que les informations utili-
sables pour évaluer la qualité des soins, les performances
du système et le financement des services ne prennent
pas correctement en compte les facteurs sociaux. «Le sys-
tème d'information sanitaire est également très largement
conditionné par l'approche "maladie". Il est peu capable de
prendre en compte les besoins de santé.»
Quant à la planification de l'offre médicale, la chercheuse
de l'Ecole de Santé publique de l'ULB rappelle que les
patients socialement les moins favorisés ou les plus
vulnérables sont plus pénalisés par une pénurie ou une
densité plus faible de soignants. Ils ont moins de contacts
avec les prestataires.
Rôle proactif
En conclusion de sa présentation, Myriam De Spiegelaere
a souligné que «les soins de santé ne jouent pas un rôle
prédominant dans la genèse et le maintien des inégalités
sociales face à la santé mais plus les soins et les interven-
tions de prévention sont efficaces, plus leur impact sur les
inégalités de santé peut être important.»

Elle a invité les professionnels de la santé à lutter
activement contre les inégalités. «Les décideurs et acteurs
de santé doivent être conscients qu'ils peuvent jouer un rôle
et que s'ils ne sont pas proactifs pour lever les obstacles
à l'accès réel aux soins et réorienter le système de santé,
le système continuera à accroître les inégalités. En faisant
"bien" son boulot, on continue d'accentuer les inégalités.
Il faut avoir une démarche active en la matière.»
Vincent Claes
JS0668F
L'hôpital plus centré sur la maladie que sur
la personne
Quel rôle l'hôpital joue-t-il dans l'accrois-
sement ou la réduction des inégalités so-
ciales de santé? Myriam De Spiegelaere,
professeur à l'Ecole de Santé publique de
l'ULB, a répondu à cette question lors du
colloque annuel de l'association hospita-
lière Santhea.
VOTRE ACTUALITÉ SOCIO-PROFESSIONNELLE
Les inégalités de santé s'accroissent par la non-prise en compte de la
coexistence de plusieurs problèmes de santé.