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I
Le Spécialiste
13-11
19 juin 2013
www.lespecialiste.be
L'
augmentation de l'incidence de
l'obésité est telle qu'elle atteint
des proportions épidémiques dans
les pays industrialisés et constitue un véri-
table problème de santé majeur. L'obésité
abdominale est associée à un ensemble
de désordres métaboliques caractérisés
par une altération de l'homéostasie gluci-
dique et le développement de pathologies
cardiovasculaires.
Des recherches récentes supportent l'idée
selon laquelle l'augmentation de la préva-
lence de l'obésité et du diabète de type
2 (DT2) ne pourrait plus s'expliquer par
les seules modifications du génome, des
habitudes nutritionnelles ou de l'activité
physique.
Il ne fait plus de doute que l'obésité et
le DT2 sont caractérisés par une inflam-
mation de bas grade, qui est associée au
développement de l'insulino-résistance.
Cependant, il n'est pas aisé de comprendre
l'origine des liens étroits existant entre les
maladies métaboliques et les processus
inflammatoires. Quels sont les méca-
nismes par lesquels une alimentation
hyperlipidique est capable de promouvoir
une inflammation de faible intensité?
Quels sont les liens moléculaires entre
une alimentation hyperlipidique/hyper-
énergétique et le développement de cette
réponse particulière?
Le microbiote
Le Pr Cani et son équipe ont montré que
l'ingestion d'une alimentation riche en
lipides induit non seulement le dévelop-
pement d'un DT2 et d'une obésité, eux-
mêmes étroitement liés à un état inflam-
matoire de faible intensité, mais également
à une augmentation du lipopolysaccharide
(LPS; un constituant des parois des bac-
téries gram négatif) circulant, qui semble
constituer le lien entre l'inflammation, le
stress oxydatif, les désordres métaboliques
et la flore intestinale (100.000 milliards de
bactéries, soit 10x le nombre total de cel-
lules du corps humain). Cet état est qualifié
d'endotoxémie métabolique.
Une fonction barrière
perturbée
Normalement, l'épithélium intestinal agit
comme une frontière continue permettant
d'empêcher le passage du LPS au travers
de la barrière intestinale. Cependant, cer-
tains événements endogènes ou exogènes
peuvent altérer les fonctions protectrices
de cette barrière. Des travaux menés par
le Pr Cani ont montré que des modifica-
tions du microbiote intestinal associées à
l'obésité pouvaient induire une altération
de la barrière intestinale et donc augmen-
ter la perméabilité de l'intestin, mais aussi
que restaurer le contenu en bifidobactéries
de l'intestin (à l'aide de prébiotiques) de
souris nourries avec une alimentation
hyperlipidique ou de souris obèses ob/ob,
entraînait une diminution de l'endotoxé-
mie métabolique et des désordres inflam-
matoires associés. Ils ont ainsi démontré
comment une modification sélective du
microbiote intestinal par des prébio-
tiques permet d'améliorer l'intégrité de la
fonction barrière de l'intestin, et donc sa
perméabilité.
L'amélioration de l'intégrité de la mu-
queuse intestinale apparaît manifeste-
ment liée à l'augmentation de la produc-
tion endogène d'une hormone impliquée
dans la croissance et la prolifération de
l'épithélium intestinal, le Glucagon-like
Peptide-2
(GLP-2). Il a en effet été montré
que l'administration chronique et conco-
mitante d'un antagoniste du GLP-2 avec
des prébiotiques bloque totalement les
effets bénéfiques induits par les change-
ments du microbiote intestinal
Akkermansia muciniphila
En 2004, l'équipe du Pr Willem de Vos (Uni-
versité de Wageningen) a découvert une
bactérie qu'il a baptisée Akkermansia muci-
niphila
. Celle-ci apparaît très abondante
dans l'intestin de personnes en bonne
santé. En effet, elle représente entre 3
et 5% (en nombre) des bactéries qui
colonisent le colon. Contrairement à la
majorité des bactéries intestinales, Akker-
mansia muciniphila
vit dans le mucus qui
recouvre et protège les cellules intestinales.
Renforcer la fonction barrière
de l'intestin
Les chercheurs de l'UCL viennent de décou-
vrir que la bactérie Akkermansia muciniphi-
la
joue un rôle primordial dans le maintien
de la fonction barrière de l'intestin (1).
Amandine Everard, de l'équipe de Patrice
Cani, a découvert que l'épaisseur de la
couche de mucus recouvrant le colon
est nettement plus mince chez les souris
obèses et DT2. Les chercheurs ont décou-
vert qu'il y a 100 fois moins d'Akkerman-
sia muciniphila
dans l'intestin de souris
obèses et DT2. De plus, on retrouve une
relation inverse entre le nombre d'Akker-
mansia
présentes dans l'intestin et le
poids corporel chez l'homme. En d'autres
mots, les sujets en surpoids ou obèses ont
moins d'Akkermansia muciniphila dans
leur microbiote intestinal.
Les chercheurs ont montré que l'adminis-
tration d'Akkermansia muciniphila vivante
à des souris obèses et diabétiques permet
de restaurer la barrière de mucus dans l'in-
testin, de limiter le stockage de graisses et
de stimuler la ß-oxydation des acides gras
du tissu adipeux, tout en protégeant les
animaux du diabète et de l'inflammation.
Cette découverte a en outre permis de
mettre en évidence de nouveaux méca-
nismes permettant d'expliquer comment
Akkermansia muciniphila et les cellules
de notre intestin arrivent à établir un
dialogue. Parmi les molécules impliquées
dans ce dialogue, les chercheurs ont iden-
tifié des substances de types endocanna-
binoïdes, ainsi qu'un peptide antibactérien
(Reg3g) produit par les cellules à gobelets
et les cellules épithéliales intestinales.
Trois types de molécules endocannabi-
noïdes réagissent à la présence d'Akker-
mansia
au niveau de la lumière intestinale:
un connu pour altérer la barrière intes-
tinale (diminué), un endocannabinoïde
anti-inflammatoire (augmenté) et un
stimulant la GLP-1 (et potentiellement
aussi la GLP-2, qui protège la barrière
intestinale) (augmenté).
En conclusion
Ces résultats suggèrent qu'Akkermansia
muciniphila
joue un rôle important dans la
fonction barrière de notre intestin et dans
la régulation du stockage des graisses.
Cette bactérie semble donc être une nou-
velle piste dans la prévention et le traite-
ment de l'obésité et du diabète de type 2.
La prochaine étape est une étude pilote
chez l'humain. Celle-ci vise à vérifier
si l'administration d'Akkermansia chez
l'Homme donne les mêmes effets que
chez l'animal.
Dr Jean-Yves Hindlet
1. PNAS 2013;110:9066-71; l'article peut être télé-
chargé gratuitement sur www.pnas.org.
JS0624F
Akkermansia muciniphila:
une bactérie qui vous veut du bien...
Une nouvelle recherche menée par Patrice Cani (Chercheur
qualifié du FRS-FNRS au Louvain Drug Research Institute à
l'UCL et investigateur du Welbio) vient d'être publiée dans
la prestigieuse revue scientifique PNAS. Elle montre que la
bactérie Akkermansia muciniphila joue un rôle primordial dans le
maintien de la fonction barrière de l'intestin et protège du
développement de l'obésité, du diabète de type 2 et de
l'inflammation induit par un régime riche en graisses.
VOTRE ACTUALITÉ MÉDICO-SCIENTIFIQUE
Le Pr Cani et son équipe ont démontré comment une modifica-
tion sélective du microbiote intestinal par des prébiotiques
permet d'améliorer l'intégrité de la fonction barrière de l'intestin,
et donc sa perméabilité.